Les billets de Joseph

Les billets de Joseph

Voisins, voisines

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Lorsqu’il avait quitté son dernier logement collectif de banlieue parisienne, il n’avait pas du tout considéré le paramètre « voisinage » dans ce changement géographique, cela n’entrait simplement pas dans son calcul. Habitué jusque-là, à n’entretenir des relations, si possibles cordiales, qu'avec son seul voisin de palier, en une sorte d’alter-ego horizontal à l’amabilité réciproque, il fut aussi contraint de vivre des dialogues plus conflictuels mais espacés avec ses autres voisins, les verticaux, d’un week-end à l’autre, le reste de la semaine étant occupé par le vide du travail.

 

Le bruit pour son malheur, monte, descend, résonne, vibre et parfois porte loin surtout, et sur tous. Lorsque l’on en est l’émetteur, pas de problème, transcendé par le solo de guitare qui tue, la ligne de basse ronde et dansante, les cuivres perçants, voire entêtants comme les rythmes des percussions agrémentés du chant puissant des refrains de tout rocker engagé digne de cet art. Il était souvent trop tenté de monter le son, c’est humain.  Pour bien souvent le couper, c’est inhumain, car l’entourage proche moins mélomane, se manifestait alors sous diverses formes, du coup de balai dans les murs à l’appel téléphonique menaçant, ou l’envoi d’une armoire à glace malpolie qui lui demandait d’arrêter « vot’bordel, siouplait »,  il avait toujours envie d’obéir dans ces cas-là, l’instinct de survie sans aucun doute. Mais il  remettait le son, dès que la brute épaisse était partie chercher ailleurs d’autres bastons possibles. Cela en un mouvement perpétuel, comme le  flux et le reflux de l’océan des aléas du vivre ensemble.

Le voisin  subissait ses autres voisins, et réciproquement, comme lui, mais pas sans laisser faire ses douces mélodies amplifiées et déformées par la structure acier ou béton de l’habitat parisien standard. Sans compter les nombreux prétextes susceptibles de former l’argument à l’organisation de fêtes telluriques, qui sans les rires sonores, les délires de l’ivresse, la foule passante, bavarde et fumeuse, et la musique précédemment citée n’auraient plus été toutes aussi mémorables pour mériter une visite moralisatrice des perdreaux, sortis de leur boite de six, prenant ainsi l’air grâce à lui, même pas reconnaissants de ce service d’hygiène offert mais si nécessaire à leur fréquentation trop poussée des commissariats.

 

Oui, il pensait bien s’en être débarrassé avec son passeport plouc sans y prendre garde, ne plus être récepteur en fait, pour entendre la perceuse, le marteau, ou les deux, du bricoleur du dimanche neuf-heures tapantes,  la scène de ménage régulière suivi immanquablement des ébats torrides des voisins du dessous, les talons aiguilles et des pleurs du nourrisson de la voisine du dessus, -et qui plus tard jouerait aux billes, Grrr-,  et le volume 10 de  la télé 24/24, entre cris virils des matches de foot et rires gras limite vulgaires générés par la téléréalité, nouvelles religions  pratiquées par une très grande majorité de son voisinage suburbain et besogneux. Le périphérique ou le trafic routier (oui, les écolos n’étaient pas encore dans les urnes), le train ou le métro, les bruits de la ville jamais vraiment endormie pouvaient toujours essayer de s’aligner, ils restaient très en dessous de l’échelle de l’emmerdement maximum du voisinage proche.

Arrivé en campagne, butinant de maisons poitevines en longères, il finit par se poser un jour de printemps dans un joli nid bien choisi à la hauteur des vingt ans de crédit requis. Bien sûr qu’il entendit les oiseaux dès le lever du jour, les moments de silence presque pur que lui offrait par instants dame nature étaient jouissifs, mais il n’eut pas le temps de se dire que les éoliennes étaient bien supportables, les tracteurs et machines agricoles plus nombreux qu’il ne croyait mais ça allait, même l’odeur du fumier, il supportait. Les voitures ça pouvait le faire, les vaches, les coqs ou les ânes faisaient partie du décor de l’image d’Épinal attendue mais la sonorisaient plus que prévu parfois, mais bon encore une fois, ça allait, se répétait-il.

 

L’habitat plouc était uniquement horizontal et épars, dans le petit bourg. Il pouvait maintenant donner libre cours à l’expression des watts de son ampli et inviter les pires braillards qui partaient même en klaxonnant, jamais plaintif ou gendarme il ne vit, c'est pour vous dire. Mais rapidement, il vit autre chose, enfin, il entendit et sentit qu’il y avait aussi … des voisins, ici. Était-ce le fruit d’une évolution particulière, la rurale, une de celle qui avait largement échappé à Darwin, ou bien les fruits du progrès mais métamorphosés grâce à l’air purifié par les pesticides. Faute de réponses, il dut se rendre à l’évidence, ils étaient bruyants, pas pareils que les émetteurs parigots, mais nuisibles, irrémédiablement.

Le sécateur de la vieille dame du sixième qui ne faisait aucun bruit en décapitant les géraniums banlieusards était oublié, dépassé. En Plouquie, les jardins étaient grands, les haies longues et hautes, les arbres nombreux, les outils coupants avaient donc tous cette précieuse assistance : le moteur ! Adieu le silence de l’artisanat solitaire et manuel, bonjour la valse des pots d’échappement. La tondeuse, le taille-haie, le motoculteur du printemps et même le souffleur de l’automne se déclenchaient à intervalles réguliers, en particulier par beau temps.

Les dimanches d’hiver, où il pensait être peinard avec une nature endormie par le froid, il y en avait toujours un pour faire du bois à l’occasion, avec la tronçonneuse, ou le coupe bûche couplé au tracteur faisaient le larron.

Et son principal problème n’était pas d’entendre un moteur, mais plusieurs. En effet, le panurgisme étant une science exacte, chacun entendant le bruit d’une tondeuse se mettait à regarder sa pelouse, fatalement, se disait alors que l’herbe était bien trop haute, et décidait d’y aller aussi. Puis un troisième était contaminé par le ballet entraînant à deux-temps ou quatre-temps, et ainsi de suite, cinq ou six bourdonnements contagieux parcouraient le hameau, pourtant si tranquille.

Il fît donc de même, plus par stupide nécessité que bête vengeance, une batterie d’engins motorisés peupla son garage, prête à en remontrer au premier qui oserait un décibel. Mais ce n’était pas sa culture, de laisser le moteur tourner pour parler à ses enfants, ou faire une pause sans couper le contact, comme les autochtones le pratiquaient, hurlant un peu plus pour couvrir les pétarades. Il n’avait pas le gène qui fallait, donc pas le plaisir.

 

Il finit par s’habituer. Faut dire qu’un jour, le voisin d’en face vint le voir, tout perdu dans ses décimales pour doser l’huile dans le sans plomb de sa tronçonneuse. Il lui donna la réponse, sans se moquer, puis ils discutèrent, de tout, de la pluie comme du maire, et d’autres faits divers tous aussi catastrophiques.  Ce ne fut alors plus le seulement bonjour-bonsoir des citadins du passé sans écrans, mais le début d’une estime réciproque et des coups de mains qui vont avec, à force de taper la discute lorsque leurs chemins se croisaient. De même, une autre voisine échangeait plantes, légumes et confitures, sans contrepartie, ni manières, ça allait de soi, même si son commérage devenait saoulant s'il ne faisait pas l’effort de s’en moquer gentiment, ou beaucoup… une fois qu’elle était partie. Les bruyants avaient donc des vies en dehors du fracas et d’autres choses à partager que la cacophonie ambiante ou la ronde de tondeuses.

Il lui restait bien des épisodes toujours tapageurs mais drôles, comme cet autre voisin qui se croyait seul dans son jardin à l’abri des pierres, et parlait, braillait plutôt, dans son portable avec sa maîtresse. Il ne l’aimait pas celui-là, mais pas pour ça. Ou  encore, le rire communicatif de la voisine sympa d’en face se répercutant par le jeu des murs jusque sur sa terrasse à lui, où la tribu finissait par s’esclaffer de même, contaminée par la joie toute proche. Et aussi le voisin de gauche -de chez lui- mais raciste, chasseur et travailleur à en crever, qui victime d’un accident de santé imprévisible s’humanisait miraculeusement mais ne lâchait pas son auto-portée pour autant, en maniaque du gazon haut du centimètre maximum, même en incapacité professionnelle, tout en laissant tranquille le fusil, et un peu les arabes aussi, mais pas assez quand même.

 

Tout ce petit monde continuait de se polluer ouvertement les tympans, mais en toute cordialité, le café ou le petit coup de blanc aidaient aussi, en plus des petits gestes d'attention, à mettre de l'huile dans les rouages de la tolérance, quand ils grinçaient. Car pour paraphraser une de nos élites cacochyme et xénophobe, mais toujours populaire selon la presse, il n'y avait pas que le bruit mais aussi l'odeur. Pas de ces délicieux fumets rencontrés dans les escaliers parisiens, du couscous ou du mafé, ni celle du fromage de chèvre local ou de la soupe de légumes universelle, non, mais les effluves des écuries de ceux qui avaient des chevaux, du poulailler ou encore du chenil, nuisances qui pouvaient être sonores parfois mais surtout puantes, lors de  fortes chaleurs ou de vents portants, sans compter les mouches. Car, que feriez-vous si vous étiez d'heureux éleveurs, et bien vous éloigneriez le plus loin possible la résidence de vos bestioles de votre habitation, logique, en limite de propriété, futé, non ? Ce qui rapprochera les animaux d'autant ...des maisons des voisins, c'est ballot. Comme tout le monde -ou presque, mais pas lui- possédait des animaux, aucun n'était gêné par les siens, mais bien par ceux des voisins, subtil équilibre dissuasif au lourd odorant qui permettait le maintien d'une cohabitation apaisée entre tous les ploucs par un partage équitable du bon comme du nauséabond.

 

Vous aurez peut-être noté l'emploi du passé simple, notre ex-parisien n'est pas mort, ni déménagé, je vous rassure, mais ces considérations font aujourd'hui partie de son passé. La vie qu'il mène lui a fait oublier tout cela. Oh ! Depuis son présent est tout aussi bruyant ou silencieux qu'avant, il s'énerve bien encore quelquefois après ces maudits voisins, mais se laisse aller autant qu'eux d'autres fois, partageant ainsi le son mélodieux de la fraternité.

Au lecteur objectif qui me ferait remarquer que ce portrait de groupe constitué laisserait volontairement de côté deux-trois énergumènes irascibles, arrogants de supériorité méprisante, je répondrais que je laisse volontiers ces prétentieux à leur propriété impérialiste ou leur bêtise solitaire, c’est selon, pour rester poli. Leur monde n’est pas le sien,  ils ne méritent donc même pas le titre de voisin.



01/12/2016
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