Les billets de Joseph

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Tête de mort

Il est motard. Toutes ses connaissances l'appellent Tête de mort. Je dis juste, connaissances, car il n'a pas d'amis, pas de copains, juste des compagnons de route, mais des bikers comme lui, passagers quoi qui ne l'appellent pas Marc ou Devrot son véritable état-civil, mais juste par son surnom.

 

Cet inquiétant patronyme, il le doit à la Joséphine. Une fille rencontrée par hasard à l’entrée d'un concert de heavy speed métal au Grand Prix de France, vous ne connaissez pas, moi non plus. Il écoute aussi de la Country, mais il ne faut pas oser lui faire écouter autre chose, le dernier punk qui a essayé a du mal à mâcher depuis.

Revenons à la Joséphine, elle est donc assise sur une barrière à l'entrée du chapiteau, à regarder le temps passer. Elle l'a vu, immédiatement, elle l'a appelé, comme elle ne peut seulement le faire lorsque quelques canettes lui ont donné suffisamment de culot pour.

 

« Hey, Tête de mort, tu paies un coup ? » Le visage de Marc a -à peine- cillé. Taillé à la serpe, le menton aigu, les pommettes saillantes, le teint mat, il a tout du reptile : la sympathie de l'iguane, l'agressivité du crocodile, le regard froid du serpent. Ses profondes orbites où deux yeux ne délivrent juste que quelques éclats et des cheveux rares, longs, filasses, font penser au crâne décharné de l'emblème des pirates. Le noir uniforme de ses vêtements et de son cuir ajoute à l'à-propos de la Joséphine.

J'irais même jusqu'à comparer les deux tibias du sinistre drapeau avec les jambes de Marc, amaigries comme le reste, par un régime rythmé d'alcools, de quelques substances festives, de la pitance effroyable des stations services et d'innombrables nuits sans sommeil.

 

homme à la moto.jpg

 

« OK ! tu bois quoi ? » Marc selon la robuste nature de ses relations humaines, aurait du lui coller un aller-retour ou lui éclater le crâne. Mais il est seul, relativement à jeun pas encore chaud, la Joséphine n’est pas désagréable à regarder, non plus.

 

« Je bois du bourbon et uniquement après avoir essayé la moto du mec qui me le propose ». La 1100, marc ne la prêtait pas, mais  jamais. Même à sa mère, s'il l'avait connue, jamais non plus.  Un 2.80 sur l'autoroute, le bourbon irrigant ce qui lui restait de foie et une partie de cache-cache avec de pauvres gendarmes qui ont eu tellement de mal à les suivre quelques

minutes avec leurs petites allemandes, ont fait la conquête définitive de la Joséphine.

 

La Joséphine est restée trois semaines avec lui, sur le siège arrière de la 1100 le Jour, et dans l'igloo la nuit. Un soir, Marc l'a perdue sur la Riviera, une nuit après le Grand Prix d'Italie, il s'est fait mettre minable par un Ducati dans les côtes de San Remo. Le beau gosse brun à son guidon avait en plus du Jack Daniel’s dans ses sacoches.

 

Mais Tête de mort est resté,  pour les hell's qui le saluent sur les grand prix, peint aussi sur le réservoir, clouté sur son cuir, ou tatoué sur son maigre biceps, et surprise, dans son cœur de glace noire.

 

Marc s'est tué hier sur le périphérique parisien, les pompiers ont longtemps cherché le pilote du tas de ferraille encastré dans l'arrière de la semi-remorque d'un routier belge. Son corps, et un peu plus loin, sa tête, reposaient sous l'essieu avant du camion, avec sa tête de mort définitive.

 

« Pas une seule trace de freinage, le sélecteur sur la sixième, la poignée d'accélérateur dans le coin, y'sont vraiment fondus ces jeunes » se dit le brigadier chargé du procès verbal. Ses cours de gendarmerie et son goût pour les stéréotypes lui cachent qu'il est impossible de heurter un camion sur une quatre voies déserte en ligne droite, sans le vouloir vraiment.

 

Un chagrin d’amour sauvage, c’est mortel à vivre, comme la moto.

 

 

Dédicacé aux rescapés, de la passion et de la vitesse. Publié initialement sur médiapart le 25/04/2014



23/05/2016
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