Les billets de Joseph

Les billets de Joseph

Aux taupes, stop !

Madame et Monsieur vivaient dans leur maison à la campagne. Ils l’avaient choisie à leur goût et celui de leur porte-monnaie, bien obligés. Madame aimait les fleurs et les buissons, un peu en désordre, Monsieur voulait un petit potager, et surtout pas trop de terrain pour éviter les heures de tondeuse. Ils avaient donc trouvé là, le logis idéal.

Durant quelques années, tout ne fut que calme et volupté, les fraises remontaient, les rosiers grimpaient, les vivaces revivaient, et le carré de pelouse verdoyait, parsemé de pâquerettes.

 

Au début du printemps, un monticule disgracieux apparut. Madame et Monsieur en furent tout contrariés. Monsieur évacua la terre, et Madame l’utilisa judicieusement pour quelques plantations. Un coup de pelle, quelques semis, de l’eau et un peu de patience effacèrent le furoncle marron.

 

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Monsieur et Madame vaquèrent à leurs occupations. Mais pas bien longtemps ; un soir entre chien et loup, rentrant d’un weekend de bombance, ils furent accueillis par quatre monticules bien voyants. Très agacés, le lendemain, dès potron-minet, ils procédèrent à l’opération déjà menée auparavant, Madame protesta bien un peu sur le surplus de bonne terre qu’elle ne savait plus où stocker, mais Monsieur, remonté comme une pendule, n’en eut que faire.

A peine eurent-ils fini, qu’un des monticules se remit à pousser sous leurs yeux, Monsieur perdit son flegme légendaire et ajusta un grand coup du plat de sa pelle sur la bosse naissante. Choquée, Madame fit le reproche à Monsieur de vouloir occire de la sorte, un animal bien inoffensif au fond. Monsieur jura, in petto, que l’on allait voir ce qu’on allait voir.

 

Un jour, profitant d’un achat de bricolage, il fit un détour par le rayon des nuisibles. Il vit avec stupéfaction, qu’il pouvait acquérir tout un potentiel d’armement pour exterminer le ravageur de pelouse. Peu après, Madame profitant d’un achat de graines, fit aussi un détour par le rayon des nuisibles, elle vit avec une stupéfaction identique, qu’elle disposait de tout un arsenal répulsif pour éloigner le créateur de mottes.

Le soir au dîner, la discussion vint sur la table. Tous les deux avaient pris garde au préalable, de consulter leurs voisins jardiniers, Monsieur, les messieurs ; Madame, les dames. Chacun de leur coté, ils fourbissaient leurs arguments pour convaincre l’autre, l’un pour pulvériser l’intrus, l’autre pour le faire migrer dans le champ voisin, où la place ne manquait pas pour monter des pâtés à l’infini.

Madame attaqua doucement avec des recettes de grand-mère, citant l’épurge ou l’ail, les plantes qui les éloignent. Monsieur lui répondit qu’un tel lui avait dit que c’était une supercherie, il lui proposa le mélange barbelés et morceaux de verre, l’animal ayant la réputation d’être hémophile. Madame refusa tout de go, se moquant gentiment de lui à son tour. La sonnerie du four coupa net la discussion, le rôti était cuit, et les carottes aussi.

La taupe prit ses habitudes, laissant un monticule, de ci, de là, de temps à autre. Monsieur appliquait la technique initiale, fourrant en cachette dans chaque trou, un véritable cauchemar pour hémophile. Madame ne pipait mot, plantant discrètement dans tous les coins du jardin ses plants miraculeux. Un mois passa, les monticules se dédoublaient, l’animal évitant les mini déchetteries de Monsieur, les plantes de Madame n’ayant pas l’air d’effrayer plus que cela le monstre foreur.

 

Dans des moments de désespoir, Monsieur filait acheter un de ces appareils aux mâchoires impressionnantes. Madame de son coté, se dit qu’essayer les boules de naphtaline, les poils de chien ou du sureau serait peut être mieux. Mais lorsqu’elle aperçut Monsieur avec un hachoir à taupes, elle le somma de le ramener au magasin. « Et le chat, t’y as pensé ? Assassin ! Tu n’as pas vu qu’il creusait les trous lui aussi, t’imagines la minette se faire broyer les papattes par ton truc infernal ! ». Monsieur bougonna un assentiment. Tout dépité, il se dit que Madame avait raison -pour une fois, bien la seule…-  et partit au magasin ramener l’engin, où il rendit aussi les pétards dont il avait fait l’acquisition en loucedé, riant sous cape en imaginant la tête que Madame aurait eu, si elle avait ne serait-ce qu’aperçu son stock de munitions capables d’envoyer cette maudite taupe ad patres, à tout le moins dans l’espace intersidéral. Mais il aimait trop son matou pour lui causer le moindre mal.

 

Madame profita de l’absence de Monsieur pour enfouir quelques boules de naphtaline dans de vieilles taupinières en alternant une fois sur deux, avec des touffes de poils de chien donnés par une copine, Elle faillit bien se couper les doigts sur d’anciens morceaux de verre déposés là par Monsieur, d’un juron, elle se promit d’arriver à ses fins, malgré lui.

Une pause survint, durant une dizaine de jours Taupinette fit profil bas, quelques pieds sous terre.  Madame, un peu par jeu, mais aussi avec  un soupçon de vanité, crut bon de lâcher le morceau sur la naphtaline à Monsieur. Il la prit par la main et l’emmena constater la présence d’un monticule récent, d’une belle couleur brune, dissimulé sous la haie. « Alors ? Mmh ? On ne la ramène plus là, hein ! »

 

L’animal reprit son rythme, sans forcer, point taupe n’en faut. Monsieur, après avoir un temps envisagé de se procurer du poison et des vers pour tuer cette chignole vivante, y renonça en apprenant que ce système était sans doute difficile d’usage. De dépit, il fit l’acquisition de trois répulsifs sonores et solaires. Malgré Madame qui fouillait le jardin à la recherche des crottes de chat pour les glisser dans les taupinières, persuadée que l’odeur insoutenable repousserait la petite bête un peu plus loin. Elle conseilla même à Monsieur, d’uriner dessus pour mieux affirmer son territoire. Le calme revint, la terre du jardin ne bougea plus pendant une quinzaine de jours, juste troublée par le buzz discret et décalé des trois champignons verts en plastique moche.

 

Lors d’un barbecue, Madame et Monsieur s’étaient un peu trop vantés auprès de leurs convives, sous leurs quolibets amicaux, de l’efficacité de leur lutte conjointe contre l’aveugle à poils doux, cela, attablés au milieu d’une pelouse parsemée d’impacts, là où l’herbe n’avait pas eu le temps de réapparaitre du fait de la toxicité des dépôts successifs de nos deux chasseurs. Le jour d’après, une belle motte sortit au soleil du matin, sous les yeux du chat qui y plongea en vain, les pattes dedans.

 

Madame, sarcastique, lut à voix haute la notice des champignons magiques à Monsieur : « Les appareils devront être régulièrement changés d’emplacement pour ne pas que l’animal puisse s’habituer au bruit. Monsieur ne sait pas lire ? » Monsieur haussa les épaules en soufflant « Pff ! Il y en a deux sur trois qui ne fonctionnent déjà plus. Du made in China, me suis encore fait rouler tiens ! » D’un coup de pied rageur, il décapita le champignon le plus proche –c’était le dernier en état de marche-.

 

Madame trouva finalement un nouveau truc sur internet. Une tige de fer plantée dans le sol, avec déposée dessus, une bouteille en plastique à l’envers. Le vent ou  la pluie faisant taper son goulot sur le fer, diffuseraient les vibrations créées dans la tige vers le sol. Pendant deux semaines, la taupe disparut du paysage et des préoccupations du couple, tout affairé à préparer le grand voyage des congés payés, loin de leur jardin perforé.

 

Ils revinrent bronzés et détendus de leur séjour. Les bouteilles s’agitaient toujours gentiment pour leur rappeler ces six mois de combat acharné. Monsieur pinça Madame « Hé, tu vois comme moi ? Aucune taupinière ! » Madame s’écria en le serrant dans ses bras « Enfin ! Nous avons réussi. Une vie sans taupe, le top du top ! »

 

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Un an a passé, les bouteilles sont toujours là, un peu ternies, Monsieur les change d’endroit de temps à autre, persuadé de l’efficacité de la trouvaille de Madame. Sous l’œil goguenard du  voisin le plus proche, celui qui a nourri leur chat pendant leur absence, et qui, accessoirement,  avait pris soin en passant dans leur jardin, de mettre deux coups de fusil dans une taupinière montante, dès le lendemain de leur départ.

 

 

Publié initialement le 13/09/2014 sur mediapart



23/05/2016
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