Les billets de Joseph

Les billets de Joseph

Faux et faits divers.

 

Le fait d’hiver sera peut être la neige ou les inondations qui bloquent nos routes et engorgent nos journaux télévisés. Nous y verrons alors, des envoyés spéciaux frigorifiés en direct du néant nous raconter en moins bien, ce que le buzz internet nous aura déjà, mille fois, montré.

Le micro trottoir qui va bien leur succédera, le commerçant ou le chef d’entreprise en larmes nous feront vibrer (ils feraient de même en dénonçant les tarifs des assurances qui les dédommageront), un grognon de service nous balancera des honaurédu, yavéka et falékon, issus du dialecte spécifique propre à dénoncer le manque de pompiers, de travaux ou l’absence d’aide des services municipaux et de l’Etat (mais il ferait de même à propos des impôts trop élevés ou des fonctionnaires trop nombreux, sur un autre reportage).

 

Le fait de printemps sera un avion disparu. Nous y verrons alors des envoyés spéciaux en direct du néant d’un aéroport banalisé, nous raconter qu’ils ne savent rien, nous montrer des images de gens possédés par le désespoir d’assister impuissants à leur malheur de perdre des êtres chers. Le micro trottoir qui va toujours bien leur succédera, nous y verrons un expert -qui sait tout mais avec une cravate- nous présenter les quatre hypothèses fortement plausibles, par une belle animation en image de synthèse, aucun droit de suite ne sera donné à sa prestation, contredite par les faits ou non confirmée par un avion perdu à jamais. L’important étant de nous donner l’impression que nous sommes informés et que la situation est sous contrôle. Sans oublier un autre grognon contre le progrès qui n’est pas là ou il devrait être, qui exprimera sa surprise de béotien que l’on puisse envoyer des satellites dans le ciel, et perdre un vulgaire avion sur la terre.

 

Le fait d’été sera l’assassinat d’une victime forcément pure et innocente par un assassin forcément pervers, récidiviste, voire jeune, rom ou bronzé. Nous y verrons alors des envoyés spéciaux policés en direct du néant du parking d’une gendarmerie semblable aux autres, nous raconter ce que nous a déjà dit le communiqué de presse du procureur de la république, en moins bien que les images qui suivront du même procureur communiquant avec une armée de micros et de caméras. Le micro trottoir qui va toujours très bien leur succédera, un élu viendra soutenir une famille méritante frappée injustement, un touriste à casquette exigera que l’on exécute tout de suite les suspects arrêtés, sans oublier de leur faire endurer beaucoup plus que le supplice horrible subi par la pauvre victime, le troisième grognon apparaîtra scandalisé du manque de moyens des policiers et du suivi judiciaire, du laxisme des juges (mais il oubliera de nous dire qu’il vote depuis 30 ans pour les libéraux qui détruisent les services publics).

 

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Le fait d’automne sera une guerre civile lointaine dans un pays au nom imprononçable. Nous n’y verrons pas d’envoyés spéciaux mais des images –les mêmes que sur le net - de cadavres démembrés dans des mares de sang au milieu du chaos et de la destruction. Deux experts, un ancien militaire et un ancien barbouze viendront nous expliquer que c’est forcément une cause ethnique ou religieuse, spontanée, bien sur. Ils reprendront intégralement l’une des deux thèses des propagandes binaires en cours, sans en relativiser les sources ou le traitement. Celle-ci coïncidera avec la position diplomatique de notre gouvernement. Pas de grognon ce coup là ni de micro trottoir. Les causes économiques seront tues, les aspirations populaires et antagonistes  aussi, surtout si elles s’avèrent trop complexes à saisir, nous qui ne sommes bons qu’à ingurgiter des marronniers faisant appel à nos émotions et nos peurs tout au long de l’année.

 

Puis, nous fournir trop d’éléments pourrait s’avérer à la longue contre productif pour ces distributeurs d’information spectacle, qui  ne nous donnent pas à chercher ou comprendre, mais à assister et regarder sans s’impliquer. Sinon, serions-nous tentés d’aller chercher l’information ailleurs, ils perdaient un client et un précieux temps de consommation pour cerveau disponible.

 

Nous pourrions alors nous apercevoir que la communication politique fait appel aux mêmes ressorts de mises en scènes, adaptées à la vacuité conservatrice de ceux qui nous gouvernent. Il ne faudrait surtout pas que l’on remette en cause TINA, le système économique, le code électoral ou pire, la représentation démocratique. Voire que nous nous mettions à croire en une quelconque utopie.

Si le bon dossier de presse répété à foison par la plupart des médias de masse n’y suffit plus, un nouveau fait divers viendra nous faire comprendre notre chance d’échapper à ce monde injuste et cruel, mais incontesté et incontestable puisque montré par des journalistes. Que ce ne soit pas arrivé à nous-mêmes ferait ainsi supporter notre soumission contrainte et notre apathie entretenue par cette perfusion permanente du malheur des autres, qui se validerait toujours par envoyé spécial, images à l’appui et interprétées comme il convient, et justifierait ainsi l’incongruité de vouloir vivre mieux, de manière plus égalitaire.

 

Et si nous ne marchions vraiment plus dans ce jeu de bonneteau, resterait alors à activer l’industrie du sport professionnel, psychotrope efficace sur le plus grand nombre, qui a l’autre avantage de titiller la fibre patriotique censée être présente en chacun de nous.

Le top étant en l’espèce, la rencontre du fait divers et d’un champion automobile comateux, nous atteignons les sommets de l’information emplie de vide mais toujours bavarde.

Si besoin,  booster le loto et le PMU achèverait le travail de conditionnement permanent, pour nous faire croire qu’il est encore possible à quelques uns d’accéder à la classe sociale des goinfres protégés, dont certains possèdent la plupart des médias, et rémunèrent ces envoyés… spécieux, pour le coup.

 

 

 

Initialement publié sur médiapart  le 28/04/2014



23/05/2016
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