Les billets de Joseph

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Mariage gaystival

 

Un samedi d’été, au cœur d’un  petit village de la vallée du Rhône, sous un mistral ensoleillé, entre platanes et vieilles pierres, se déroulait le premier « mariage pour tous » qu’ait connu la commune.

Yvonnick et Baptiste, deux jeunots d’à peine  un demi-siècle à eux deux, avaient décidé de convoler en justes noces.

A l’heure dite, une centaine de personnes attendaient les traditionnels retardataires de ces occasions-là, devant la petite mairie presqu’en face de l’église –fermée à double tour, par précaution ? -. Un premier regard sur l’assemblée en disait déjà beaucoup, les parents d’un des mariés étaient absents, seuls, sa grand-mère, ses frères et sœur, sans les conjoints, avaient fait le déplacement, du coté d’Yvonnick, sa famille proche était là, plus nombreuse, puisqu’une partie est originaire du village mais le reste de la grande dynastie s’était abstenu, pourtant habitué aux mariages imposants. Seule, la dernière génération était venue, beaucoup des plus de trente-quarante ans et plus manquaient à l’appel, en particulier les mâles…dont les grand-pères, dont l’un fut élu du conseil municipal. Bref, les tolérants et les libertaires étaient là, tous les autres avaient déclaré forfait. Ce qui était plutôt marrant car l’on pouvait alors dénombrer plus de non mariés et de divorcés que d’annulaires bagués dans l’assemblée. Une petite tension régnait, les locaux craignant visiblement les provocations ou des remarques déplacées d’une partie des habitants du village, étonnamment désert.

 

La cérémonie s’annonçait jeune et féminine, un air de soul music accueillait tout ce monde endimanché dans la salle des mariages pour achever le tableau.

Les mariés avaient choisi chacun deux témoins, tous féminins. Il n’y eu pas d’explication à cet état de fait, mais ça faisait un peu compensatoire, quand même. Chacune s’est d’ailleurs présentée à l’assistance, avant la cérémonie, ça parlait d’amour et d’amitié au milieu de quelques larmes d’émotion, à la sincérité touchante, l’une d’entre elles regrettant fermement les trous dans la présence de l’arbre généalogique des deux tourtereaux.

Un adjoint au maire -à la culture- était chargé de jouer l’officier d’Etat civil, le maire ne s’étant probablement pas risqué à présider une première cérémonie de ce genre dans sa bonne ville. Avec humour et tact, l’élu s’est faufilé entre les gaffes et les écueils possibles que pouvait fournir cette première. Visiblement, il ne connaissait pas bien les textes, c’était la première union civile qu’il présidait; ils n’ont pas du se battre pour la faire celle-là, les chers élus. La lecture des longs articles du code civil sur les responsabilités parentales sonnait terriblement et définitivement  faux, pour qui connaît les difficultés pour adopter dans notre pays, et les carences législatives sur la GPA et autres.

 

Comme le disait Yvonnick, après, « Avoir un enfant, on l’évoque, mais sans plus, l’envie n’est pas là. Mais pour deux mecs, aujourd’hui, ce n’est qu’une question de pognon, et pour le faire naitre ou venir, c’est forcément l’étranger. Mais adopter là-bas, de l’autre coté de la planète, ne veut pas dire être parents de plein droit en France. Comme on est pratiquement smicards tous les deux, et pas fils de, ni people, ni puissants, nous n’en aurons pas les moyens sans le vote d’une loi, un enfant unique sera donc notre seul champ du possible, mais il nous faudra faire beaucoup d’efforts et de sacrifices, alors que pour deux hétéros même pas mariés, un câlin suffit. La société ne préjugera pas de leur décision, ni de leur incapacité parentale, pour nous, si, c’est couru d’avance. Ce mauvais regard chez une partie des gens y compris chez ceux qui nous aiment, on le supporte chaque jour, la loi ne changera rien, une sorte de racisme soft, je ne me plains pas, et heureusement que je suis blanc. Faudra faire avec. » Finit-il d’un clin d’œil.

 

Après la mairie, la petite troupe s’est déplacée pour faire les photos avec les mariés, ce qui a libéré l’ambiance, puis vint le vin d’honneur, le banquet et la fête finale, personnalisée par leurs amis, comme à peu près tous les mariages –qui se déroulent bien-.  Ce qui s’y est passé ne vous regarde pas. Juste que ces deux là s’aiment, sincèrement, sans doute pas pour l’éternité et peut-être beaucoup plus que d’autres mariés, mais ils étaient contents de le dire, plutôt, de pouvoir enfin le dire publiquement, sans ostentation. Car visiblement, leur homosexualité provinciale, même si elle est assumée, reste quelquefois, pour ne pas dire tous les jours, un problème pour d’autres,…tant d’autres qui avaient donc besoin d’une « légalisation ».  Dans la famille, ça on l’a vu, mais aussi au  travail, ou avec les voisins. Jamais simple, bien plus compliquée semble t il que la vie du parisien anonyme. Curieusement, l’homosexualité féminine semblerait moins poser de problèmes aux coincés régionaux.

 

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Le mariage pour ces deux jeunes hommes, représente une forme d’émancipation légale, car elle les autorise à vivre non dissimulés, au dehors de la petite partie de leurs familles qui les accepte déjà tels qu’ils sont. Un Etat émancipateur, voilà qui résonnerait presque comme une fabuleuse utopie. Le mariage, ciment de la famille, institution vénérable du contrôle social, se présenterait ainsi pour ces deux jeunes comme un accès à une liberté tant attendue, et qui l’eut cru, pas celle de l’émancipation, non, mais bien celle de l’accès à la conformité de la norme sociale, un droit d’entrée à une normalité banale.

Un peu comme avant, quand le plein emploi existait, le premier boulot permettait de quitter ses parents et de s’affranchir pour vivre une vie… normale. Quitter l’aliénation familiale pour la patronale. Le « mariage pour tous » est donc en fait, une fantastique promotion du mariage, qui se porte de plus en plus mal chez les hétéros, que les trads n’aient pas vus cette opportunité de ramener des « brebis égarées » par ce biais ne cesse d’étonner, mieux vaut en sourire que d’essayer de comprendre ce renversement. Les socialistes, eux, ne l’ont donc  pas loupé, en bon gestionnaires opportunistes et électoraux des libertés autorisées du peuple, ils ont entrouvert cette porte à bon compte, sans finir le travail car il faudra bien statuer d’une manière ou d’une autre sur le sort de la parentalité homosexuelle, donner un statut normal et égal à ces enfants nés, qui naissent et à naitre, hors-la-loi ou pas. Les choses se font déjà toutes seules et depuis longtemps, pour les mieux informés et/ou les plus aisés, les prolos seraient les seuls encore gênés par ce bancal statu quo actuel.

 

Cela pourrait prendre place dans la continuité de l’abandon des classes populaires par les politiques, qui est aujourd’hui une certitude, quelques fêtards s’amusaient de cette  loi, tard  dans la nuit, singeant nos élites qui voulaient satisfaire le bon petit homo de leur entourage pour qu’il puisse passer devant le maire, mais laissant  tomber la suite de la loi, avec la famille et les enfants « puisque chez ces gens-là, Mônsieur, on sait comment il faut faire car on a les moyens ou les relations pour le faire. Pas besoin de légiférer ». Il faudrait préciser que le socio type des invités était plutôt classe moyenne basse, les plus aisés étaient en général chez les absents. Un hasard sans doute, un de plus.

 

Le verre à moitié plein de vide, le demi-pas en avant, les lois mal ficelées, combien  caractéristiques de ce quinquennat mortel. Mais, deux personnes qui s’aiment ont obtenu le droit de s’unir et de vivre sans s’en cacher, même en plouquie profonde, grâce à ce bricolage du code civil, alors, personne ne chipotait vraiment le moment venu pour lever une coupe pleine de bulles à leur bonheur présent, heureux soient-ils !

 

 

Publié initialement sur mediapart le 30/08/2014



23/05/2016
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