Les billets de Joseph

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Consommer, humanum est

Il occupe son samedi et pas mal de ses loisirs à remplir un caddie, puis sa maison. Il n’est pas seul, ils sont toute une masse pour qui consommer, c’est vivre, et acquérir, posséder, c’est  réussir sa vie.

Le consommateur se déplace en troupeau à la périphérie des villes. Transhumance qui peut parfois lui faire faire des dizaines de kilomètres, alléché par l’odeur de la bonne affaire, concept qui se divise en deux catégories.

Le « pachère », il aura, ou tout du moins l’impression d’avoir, été au prix le plus compétitif. Une sorte d’accès à l’élite de ceux qui savent où et comment, mieux acheter, mieux négocier, bref, le gros malin, le meilleur que les autres qui ont le même sport.

Le « topdutop » -rare ou nouveau, mais pas vraiment donné pour cause de marge maximum – il l’aura avant les autres et se donnera ainsi  l’impression d’être le premier, l’unique, et de pouvoir se payer d’égo en  brillant avec son truc hors de prix -et faisant double emploi avec un autre machin d’avant, acquis seulement 6 mois auparavant, mais vieilli par l’arrivée de l’autre tout pareil, mais mieux, quoi-, au firmament des repas de famille, des diners en ville, de la machine à café, ou de la terrasse du café de l’Hôtel de Ville.

 

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Cette surchauffe de carte de crédit est, bien sur, soigneusement préparée en amont, pas par lui, mais à son insu. Par ses écrans, par sa radio, par son journal, par sa boite aux lettres, par de laids panneaux de 4 mètres sur 3  à l’entrée des villes, par son réseau de relations, par son travail, voire même par une certaine Nathalie avec un curieux accent qui l’appellera personnellement au téléphone pour lui accorder de nombreux avantages -surtout s’il est propriétaire-, et même par avion sur la plage,  oui,  un faisceau d’influence présent partout exposera massivement notre consommateur à de multiples stimuli, entretenant la flamme par tous les moyens, y compris les plus vils : la frustration, le sexe et la luxure, la jalousie, la puissance seront ainsi mises en valeur pour activer son passage à l’acte d’achat. Les réseaux dits sociaux –oui, ceux gratuits, ou le consommateur, c’est lui le produit- achèveront le travail pour donner sens à ses achats avec des débats comparatifs et passionnés.

Si par malheur, son compte en banque ne lui permettait pas d’armer de quoi satisfaire ses envies devenues pressantes, son avenant banquier ou un sympathique conseiller d’un organisme de crédit, deux altruistes pleinement dévoués à sa réussite personnelle lui accorderont un généreux emprunt à un taux jamais vu. Le pas vu pour lui étant surtout en l’occurrence les lignes minuscules du contrat qu’il n’a pas lu, et qui masquent des clauses restrictives qui augmenteront sa précarité ou sa dépendance, c’est selon.

 

Une fois ferré, il prendra ses aises comme un poisson dans l’eau des galeries marchandes et autres hypermarchés. Il aura accès à ses cartes de fidélité, au statut de client privilégié qui reçoit un mail ou un SMS par jour de ses marques les plus achetées préférées, il sera invité à des ventes privées –à7h du mat avant d’aller pointer, au pire il prendra un jour de congé, non mais oh !-, il recevra même des propositions rémunérées en cadeaux commerciaux d’instituts qui lui diront qu’ils testent des produits et font appel à lui pour ses compétences, tout cela pour ne pas lui dire que ce sera bien lui et seulement lui l’objet du test, pour mieux profiler et analyser son comportement, et augmenter ainsi son temps de présence dans ces merveilleux lieux de vies conviviaux que sont les zones d’activités commerciales.

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Le meilleur étant de devenir le vendeur de ses propres consommations, en invitant son réseau à des réunions de démonstrations chez soi -pas de frais pour la marque faut laisser les prix bas hein-, voire en intégrant des systèmes pyramidaux plus ou moins sectaires, payé à la commission à temps partiel, -pas de charges de salaires pour la marque, faut laisser les prix bas, hein- histoire de piquer du boulot aux autres puisqu’il y en aurait déjà trop.

 

Pourtant, le peuple des consommateurs est surveillé par les économistes, les politiques et les spéculateurs comme du lait sur le feu, ces trois là parlent volontiers en son nom. Les premiers veillant à ce que la libre concurrence s’exerce pleinement, jusqu’à son paroxysme, avec la création de monopoles privés sur des services commerciaux devenus des besoins quotidiens, se substituant parfois en une illusion de service public; les seconds inquiets du moral des ménages et leur consommation, mais tellement omnibulés de voir la croissance exister pour prouver la justesse de leurs décisions qu’ils se perdent dans leur dictionnaire en bois,  lorsqu’elle stagne ou recule pour  éviter de prononcer le mot médiatiquement mortel ; quant aux troisièmes, tous occupés à leurs loteries mercantiles, ils miseront sur la start-up innovante pour créer l’une de leurs fameuses bulles si rémunératrices, qui produira l’objet ou le service dont les consommateurs branchés et d’avant-garde raffolent, préfigurant les montagnes de ventes à venir, et des bénéfices liés.

 

Oui, ce peuple des consommateurs n’est pas du tout surveillé pour sa dangerosité, vous pouvez vous calmer. Croyez-vous qu’il jouerait d’un rapport de force favorable avec les trois pouvoirs d’influence précédemment cités. Imaginez un peu les conséquences d’une semaine d’abstinence, sans âme qui vive à Plan de campagne, aux 4 temps, Atlantis, ou au Carré Sénart… Imaginez le pouvoir de nuisance que présenterait un tel mouvement pour exiger ce que les urnes ou le syndicalisme ne nous donneront plus jamais.

Que nenni, rien, il ne se passera rien, ne pas consommer, n’y pensez pas une seule seconde, faire comme les pauvres ou ces écolos tristes, beuark ! Non, nous ne pouvons vraiment pas envisager cela. En effet, la seule liberté que les hommes sont encore à même d’imaginer : la liberté de choisir devant les rayons des supermarchés.

 

 

 

*Citation du Group Krisis, in Manifeste contre le travail. Publié initialement sur médiapart le 16/06/2014



23/05/2016
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