Les billets de Joseph

Les billets de Joseph

Quadrimoteur plouc

Le maire avait soigneusement préparé son coup, une petite réunion publique anodine, juste avant un week-end de fête annuelle au village, sur 1e thème «  l'éolien, énergie du futur » par I'ADEME et France environnement, je crois me souvenir , puis une deuxième réunion avec le commercial en hélices géantes, l'investisseur local, le paysan sur lequel les moulins seraient installés et la brochette d'élus locaux, devant un public tout acquis à la cause, c'est à dire les habituels militants socialistes et les quelques habitants concernés perdus au milieu qui n'avaient pas moufté, vaincus par la masse et 1'apparat. J'ai raté les deux, une année ou j'étais préoccupé par d'autres choses, sans doute. Puis à la cérémonie des vœux, le Maire en a remis une couche, surtout sur les plus vingt mille euros de recettes supplémentaires pour le frêle  budget municipal, ce qui doublait sa capacité d'autofinancement, quand même. Lancé dans son élan, il promit inconsidérément le haut débit internet pour tous puisque les éoliennes avaient besoin d'une liaison internet potable pour leur maintenance, le proche voisinage quitterait sans doute sa zone blanche, enfin pas blanche mais à 516 ko, comme on en fait plus, depuis 15 ans chez les citadins.

 

En lisant le torch...nouvelle république, je compris tout à coup qu'elles seraient implantées à un peu plus de 500 mètres de chez moi, il y en aurait cinq. Les éoliennes ne me gênaient pas vraiment dans l'idée, ex-banlieusard, des nuisances, et des sonores, j'en avais eu plus que ma dose. Les avions d'Orly 300 mètres au-dessus du lycée ou du stade, le RER de la ligne C pas très loin non plus, et même le ronronnement bas et lourd des péniches. Puis, un copain, geek, me bassina avec la 3G bientôt la 5 des éoliennes, et que j'allais avoir le cerveau bouilli, tout en pianotant sur son ordi wifi, ses multiples appareils Bluetooth, et me coupant la parole pour répondre à son portable. Je me moquais un peu, il se détourna alors sur le courant haute  tension qui rendait les vaches folles pires que Creutzfeld. Je restais sceptique devant ses approximations amalgamées, la discussion partit ailleurs. En sortant de chez lui, une ligne moyenne tension me fit un clin d’œil pour me confirmer qu'il me racontait à peu près n'importe quoi, un moment de faux avec du vrai.

 

Je lus un peu sur le ouèbe, retrouvant ces peurs des ondes et du bruit, trouvant des vidéos d'éoliennes explosant sous les coups de vent, des témoignages hallucinés comme on n'en trouve que dans les réseaux sociaux, quoi, puis un peu plus construit, le discours sur 1'atteinte aux paysages. Ouais, bon. Un pylône, je savais ce que c'était, mais une centrale nucléaire,  aussi, son risque était un peu plus concret, pérenne, et avéré, pas seulement esthétique. Et des éoliennes, j'en avais vu, je trouvais ça plutôt joli, faites pour le vent, fines, agitant le paysage comme les moulins d'antan. Beau, c'était peut -être pas le bon terme, mais pour situer, beau comme le viaduc de Millau, quoi, de l'esthétique industrielle ou quelque chose d'approchant. Pas de l'art, pas de gras non plus dans ces lignes et cette couleur blanche.

 

Ma quête continua, je tombais sur l'explication du financement des éoliennes, je résume, en gros, EDF faisait un beau cadeau aux investisseurs sur le prix d'achat du courant produit, mais pas trop garanti sur la durée d'amortissement (ne quittez pas, j'arrête de faire le comptable !), je traduis, Edf soucieux de son image très neutron, incite 1es promoteurs à s'engager vers une rentabilité à f image verte assurée mais pas trop, puisque nul ne connait les évolutions du prix du Kilowatt, c'est eux qui supportent le risque de f investissement, et derrière c'était bien nous, au final, les usagers et contribuables qui payaient, comme d'habitude, l'assiette publique la plus large composée des clients captifs finançait une rente de placement qui ne profitait qu'à un seul. Veux refrain de la croissance libérale.

Un grand mât haubané apparut au milieu des champs à quelques centaines de mètres de la lisière de la forêt. Après enquête, c'était fait pour mesurer la présence du vent, sa vitesse, son orientation, sa fréquence. Il était moche, rouge et blanc. Il resta là un an, on l'oublia. Après coup, je m'aperçus que les mats des éoliennes étaient de la même hauteur. Un peu plus tard, le préfet retoquait le projet d'autorisation, pas à cause du mécontentement nul mais par son seul pouvoir discrétionnaire, le nombre d'éoliennes tomba à quatre pour le nouveau projet, le village semblait s'en foutre, les voisins aussi, moi, je faisais comme tout le monde, rien. Encore un peu plus tard, le permis fut accepté, quatre beaux panneaux fleurirent, incongrus, au milieu du rien des champs, dans la pampa deux-sévrienne.

 

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 C'était donc parti. Mais ça traina encore un chouia. Dans un village pas 1oin, sur un projet sensiblement identique au nôtre, c'était pourtant l'émeute, réunions houleuses, pétitions, articles incendiaires dans le journal, familles éplorées, et des élus visiblement gênés aux entournures qui ne savaient plus trop comment s'en sortir. Ce village, j'y avais loué avant d'accéder à la propriété, j'y suis allé en curieux boire quelques godets chez des connaissances tout en furetant avec les collègues au boulot ou au marché, à l'affut de tuyaux de première main. Derrière les pancartes  revendiquant la beauté du site ou le refus des nuisances trouvées dans le catalogue de tout anti de base qui se respecte, se cachait une vérité plus terre à terre -à ne pas ébruiter-. Un lotisseur, paysan, pas copain de l'autre paysan, investisseur éolien, n'arrivait pas à vendre une partie des parcelles de son lotissement tout proche qu'il venait de réaliser, la présence de 1'éolien l'obligeait à baisser ses prix, et les candidats à la construction qui avaient déjà signé avec lui, voyaient aussi le prix de leur maison plonger avant qu'elle n'existe, sans compter les déjà propriétaires aux alentours, pareil. Ça énerve, on peut comprendre d'en perdre 10 ou l5%, ça fait mal. Ils gagnèrent, le projet fut abandonné. Quelques kilomètres nous séparent, un monde. Plus tard le législateur aura travaillé à augmenter la distance réglementaire entre les habitations et les parcs éoliens, pour la porter de 500 à 1000 mètres, se basant sur la longue liste des nuisances développées par les antis. Je pense aujourd'hui que nos parlementaires défendaient plus des intérêts particuliers de ce style que notre bien-être commun, mais j'ai sans doute l'esprit mal tourné ou trop dans le vent.

 

Dans mon village, les délais de recours étaient passés depuis longtemps, personne n'avait bougé. Et au printemps suivant, le coup était vraiment parti. Puisque quatre gigantesques anneaux métalliques se posèrent une nuit sur le parking du cimetière, nous n'eurent pas le temps de croire aux soucoupes volantes, deux articles dans la presse locale diligentée par notre maire nous informaient qu'il s'agissait des socles des éoliennes.

 

Les terrassements commencèrent, presque invisibles de la route ou de la maison. Une ligne de fibre téléphonique aérienne de près de cinq kilomètres fut construite pour relier le parc éolien au chef lieu de canton, juste en dessous, une ligne électrique enterrée conduirait le courant produit au réseau public. Ce chantier ne fut pas conduit sur des routes principales, mais sur des routes secondaires, seulement fréquentées par les tracteurs et les indigènes du lieu, qui surnomment ces raccourcis les chemins à trois grammes, oui, le samedi soir, aucune chance d'y rencontrer un pandore. Discret donc, le chantier. Tous les ouvriers étaient espagnols.... des catalans, ce qui amena peu de couleur et de soleil chez les laborieux que nous sommes, presque de quoi devenir fédéralistes européens. Que nous sommes déjà, puisque le lait de chèvre de votre Bougon ou de votre St loup, s'il est bien fabriqué chez nous, son lait vient d'Espagne ou des Pays-Bas, ruinant nos éleveurs caprins proches de la disparition, comprenne qui pourra.  Puis vint le grand mécano, des convois exceptionnels incessants amenèrent les éléments des futurs moulins un à un, la nuit souvent. Le jour, ils les montaient, toujours les mêmes espagnols, c'était d'ailleurs marqué Gamesa sur les gros blocs qui serviraient d'axes pour produire 1'électricité. Notre coin devint fréquenté, nous n'avions jamais vu autant de monde dans nos petits chemins, ça prenait des photos, ça jouait les ingénieurs avec leurs enfants, le journal ne cessait de causer de ça. Les premières éoliennes de la communauté de communes avaient donc du succès, aujourd'hui, trois. Puis un jour à l'occasion d'un barbecue, on s'aperçut qu'on en voyait deux de la maison presque en pied si on passait le mur ou la haie, de bruit point, faut dire que c'était l'apéro. Un plus curieux que les autres nous fit taire. Et 1à, nous perçûmes un vlouf-vlouf presque imperceptible, cyclique, tel un métronome. C'était plein soleil et peu de vent. Ce fut le temps de l'observation, pifométrique, le sujet revenait de temps en temps, mais sans plus. En fait, on les entend très bien la nuit, quand les machines agricoles, le trafic routier, les animaux et les gens...dorment, mais moins décidément, moins bruyantes qu'une voiture qui passe sur la départementale à leurs pieds. Lorsque le vent est fort, qu'il pleut, et selon l'orientation, là, elles égalent presque le bruit de la route, mais c'est loin d'être pénible, pour qui connaît le chant des tondeuses du samedi ou des moissonneuses- batteuses estivales et nocturnes.

 

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Puis il y eu d'autres surprises, un voisin se plaignait de sa télé, qui se troublait parfois, l'image se brouillait puis revenait. Puis deux, puis trois, je rigolais comme souvent. Puis un soir, De niro prit une sale couleur dans mon écran, il la ramenait moins le Joseph, là. L'investisseur grand prince nous offrit la parabole et le boitier TNTsat, enfin, seulement à ceux qui en firent la demande à la mairie, j'en fus, donc jamais de brouillage, les pales ne troublent plus notre temps de cerveau disponible, et on peut à nouveau profiter pour regarder la pub entre les films, les politiciens et les faits divers. Sauvés.... nous allions même pouvoir rester des consommateurs aliénés !

 

Les éoliennes s'arrêtèrent sur une longue période. La campagne se remit à bruisser des rumeurs les plus folles. L'investisseur n'avait pas l'air jouasse. En fait, les arbres de la forêt domaniale toute proche altéraient la stabilité des flux des courants d'air la rentabilité attendue en souffrait. On vit moult fourgonnettes et grues s'affairer dans le parc éolien. Certains devant leur verre de blanc prévoyaient le démontage, la bouteille finie, c'était carrément l'abandon d'un champ d'éoliennes rouillées, survolé par les corbeaux dans une ambiance de fin du monde. Bon, en fait, ces machines sont gérées par ordinateur, des petits logiciels malins qu'il semble suffire de paramétrer correctement pour que le moulin s'arrête si nécessaire quand ce n'est pas rentable, et reparte quand cela l'est. Les bouseux furent ainsi stupéfaits d'apprendre que parfois, même quand il y avait du vent, la production était arrêtée pour ne pas dépasser les quotas conclus avec EDF, éviter de vendre à perle après, et par là même, économiser aussi des coûts de maintenance. Le grand argument des antis sur les éoliennes inutiles un tiers du temps prenait un sale coup dans la tronche. Les capitalistes pensent à tout, pas seulement à 1a communication et aux petits cadeaux vrais ou faux.

 

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Oui, nous n'avons toujours pas le haut débit, le vent ne rapporte que 12 000 à la commune au lieu des 20 promis, la TNTsat s'est arrêtée, mais les oiseaux chantent toujours, comme les chasseurs et les véhicules qui les tuent beaucoup plus que les quelques unités étourdies et surprises par une hélice silencieuse et trop rapide pour leur vol. La valeur de nos maisons a retrouvé son niveau d'avant, l'immobilier s'adapte donc aussi aux spéculations conjoncturelles et aux gesticulations politiciennes.

 

Ma plouquie est toujours aussi jolie, 1'automne 1'embellit un peu plus, mes compatriotes ploucs toujours aussi bavards, et il en est passé du vent sous les pales, depuis.

 

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06/06/2016
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