Les billets de Joseph

Les billets de Joseph

Printemps

Un matin, après le café matinal, elle se fait surprendre par un rayon de lumière sur la table de la cuisine, un regard à la fenêtre lui confirme que le jour est déjà levé. Combien de mois se sont passés depuis qu’elle petit déjeune avec la nuit, elle ne le sait même plus, tout ce noir a absorbé ces jours froids et courts. Agréablement surprise, elle a envie de mettre le nez dehors, aller remplir de bûchettes le panier vide du poêle fait prétexte. Comme d’habitude, sans même y penser, elle enfile ses vieux gants, son bonnet, sa polaire à tout faire, et chausse les pompes spéciales jardin, mais à peine sortie, elle ne ressent plus ce petit froid qui pique, plutôt une sorte de douceur ancienne comme un souvenir. Alors qu’elle revient de l’appentis, peinant un peu sous le poids du bois, une nouvelle impression d’étouffer sous le tissu revient. Elle se pose. Une pause. Elle ouvre la veste, se débarrasse du bonnet devenu trop chaud.

Ça cacarde au lointain, en sons désarticulés mais parfaitement reconnaissables. Cela lui fait soudain lever les yeux vers le ciel, d’un bleu presque oublié, elle les cherche. Un temps. Puis, en faisant un pas de coté pour se libérer la vue des arbres de la haie, elle les trouve vers le nord-ouest. Un grand V asymétrique vole  au dessus de l’horizon, caractéristique, ces deux branches ondoyantes en des dizaines de mètres, progressent en une pointe unie vers le nord. Elle croit percevoir les flap-flap des oies qui reviennent. Elle sourit. Comme pour vérifier que ce n’est pas une illusion, elle les compte alors, mais vers trente ou quarante, elle perd le fil car l’oiseau de tête a légèrement corrigé le cap, déréglant le ballet du vol et surprenant quelques étourdis, qui devenus retardataires,  isolés, font ensuite bruyamment  l’effort de reconstituer le V du grand voyage. Enfin, elle les perd de vue tout  doucement, restant là, béate à contempler l’hiver qui s’estompe.

 

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Par association d’idée, elle regarde alors le jardin comme un ami auquel elle ne pensait plus. Oui, les feuilles de tulipes sont déjà là, encore un peu froissées de n’être pas assez grandes, elle ne les avait pas encore vues. Ça et là, les futurs bouquets de jonquilles verdissent, turgescents vers la lumière. Dans un pot égaré loin de sa mémoire, un bulbe jusqu’alors très discret se rappelle à elle, la fleur est pour très bientôt.

Elle abandonne le panier. Va s’asseoir sur sa pierre ensoleillée, celle-là même qu’elle n’a plus fréquenté depuis octobre. Le chat est déjà là, lové sur le calcaire déjà tiède. Elle pose une main calme sur la fourrure tigrée, c’est chaud aussi, ça ronronne même.

 

Sa décision est prise. Faire durer. Oublier le reste. Un peu. Lâcher prise, oui. Pour célébrer toute entière  mais en une retenue bien à elle, cette renaissance annoncée, connue, annuelle et pourtant toujours pleine d’espoir, de vie et de renouveau, comme à chaque fois. Ce qu’elle fait donc, à sa manière, pour quelques heures, loin du fracas libéral, très loin du désastre démocratique et de la barbarie mortifère des dominations à l’œuvre.

Elle reprendra le combat après, de ses propres ailes avec la force de cette sève nouvelle en son cœur, pour pouvoir rejoindre d’autres drôles d’oiseaux un peu comme elle mais pas tout à fait, pour que l’été soit brûlant, enfin, incandescent même, pourquoi pas, après tout ce temps de perdu…. sauf ce matin là.



14/02/2017
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