Les billets de Joseph

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A Jacques

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Jacques est parti dimanche, nous lui dirons au revoir demain.

 

Mais voilà que notre peine est bafouée, envahie par la radio, la presse, l'internet et les médias dans un même pas, cadencé par l'audience. La télé, je ne sais pas, il semble qu'il n'y ait plus que des mélenchonistes qui la regardent. L'émotion déborde, s'étale, surjouée et impossiblement unanime, des kilomètres de louanges et de larmes nous empêchent de regarder plus loin, de nous retrouver aussi, nous-mêmes. Nous avons envie de leur crier qu'il n'y a pas que les idoles, qui ont le droit à l'hommage et à la paix, en niant le droit d'exister à chacun en un ordre du jour unanime pour les vivants.

 

Mais Jacques est parti , nous irons lui dire au revoir demain. Il n'était pas écrivain ou chanteur de variétés, il était retraité. Il avait comme nous tous, ses failles et son humanité, elles ont pu lui être reprochées ou encensées, à juste titre ou de mauvaise foi, est-ce important maintenant, nous l'aimons, il nous aime aussi, à sa manière, discrète et sans exigences.

 

Les deux autres voleurs de deuil n'avaient pas que des qualités, pourtant l'hagiographie semble nécessaire pour endormir les masses, un deuil critique les élèveraient un temps sans doute, les masses.... mais non, ils tiennent trop le filon de l'émotion, sur la plus haute note, bien trop élevée, trop fausse, pas comme notre peine pour Jacques.

 

Ils célèbrent un vieil aristocrate, qui fut jeune, un chantre réactionnaire, colonialiste et directeur du Figaro, le célèbre journal humaniste, puis sur le tard, écrivain de la pléiade, ne cédant ses sales idées qu'à un ego précieux, pour paraître et profiter en jouisseur de son statut, d'un bon commerce l'âge aidant, pour minauder devant des journalistes enamourés. De même, ils célèbrent un autre homme-produit du show biz, parti de rien, et qui a rapporté des millions à beaucoup, surtout à son premier manager qui savait ce qu'était écrire un contrat pour un chanteur d'une naïveté confondante. Et ils célèbrent ces deux idoles choisies, des hommes d'ordre, de droite donc, qui ont soutenu Chirac et le minable à talonnettes, abjectes machines de pouvoir et d'argent sale.

 

Loin de Jacques à qui nous dirons au revoir demain, simple maçon devenu syndicaliste suite à une chute au boulot, dont l'autre chute d'un mur n'avait pas modifié un idéal voué aux communs. Homme à femmes comme les deux autres stars des salles d'attente, charmeur aussi, mais pas pour les trophées ou les photos de presse. Sa vie conjugale ne fut pas rectiligne, certes, ses quelques frasques l'éloignaient du confortable et l'ont placé parfois dans des situations intenables, et nous avec, mais en toute sincérité, son affection pour nous ne souffrait pas de ses escapades sentimentales, d'ailleurs il semblait bien qu'il continuait d'aimer celles qu'il quittait, elles aussi sans doute un peu, malgré leur rage.

 

Les deux autres astres morts eux, n'ont semble-t-il pas connu ce genre d'affres, le récit de leurs vies doit être bien trop parfait pour pouvoir douter ou s'attarder sur leurs collections de conquêtes ou leur sordide, pour satisfaire le bon peuple, lui faire croire à ces totems de la réussite, synthèse silencieuse d'une société de quelques vainqueurs à qui  tout est pardonné, pour tant de perdants et de perdus, jugés coupables. Leurs photos -où ils sont toujours seuls, remarquez bien- s’étalent partout, les plus belles, les plus flatteuses évidemment, nous n'aurons pas celles des derniers moments, celle de la souffrance, de la maigreur, de la conscience intermittente, infectes et fidèles compagnes de la maladie et de la vieillesse. Jacques, à qui nous dirons au revoir demain, a vécu cela avec courage et dignité, il savait, mais il avait choisi d'en rester là, lassé du bistouri et des attaques successives des crabes. Libre de son choix, pour le meilleur et pour le pire. La liberté a son prix, toujours, contrairement aux deux autres qui ne s'appartiennent plus, sans même le savoir, devenus plus monumentaux que leurs propres caveaux.

 

Nous aurons bientôt droit aux directs obscènes sur les cercueils, aux commentateurs sanglotants, aux zooms sur les célébrités attristées, deux jours de voyeurisme assuré, les publicitaires et les politiciens seront contents.

Jacques sera parti en fumée, sans discours et sans cérémonie. Il ne croyait pas à l'au-delà, juste à l'humanité, où un homme ne vaut pas plus qu'un autre, ni moins, juste un passage sur terre avec son terme inacceptable.

 

Puis nous passerons les fêtes avec l'absence de Jacques, alors que Jean et Johnny seront partout, sous tous les sapins, de toutes les vitrines, leurs ayants droit seront sauvés de la misère pour leur petite éternité à durée déterminée, mais nous, nous resterons toujours aussi riches, du souvenir de Jacques, ignorés du reste du monde, tranquilles, avec lui.

 

Jacques,  salut à toi !



06/12/2017
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