Les billets de Joseph

Les billets de Joseph

Orage, haut désespoir

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 Ce mardi, alerte orange en Plouquie. Je papote avec les voisins, les collègues,  tout le monde a l’air convaincu que ça va être pour nous c‘te fois-ci. Un vieux fond d’instinct grégaire m’oblige à faire comme tout ce monde et dès l’heure de débauche (ne vous excitez pas, ici, c’est la sortie du travail), je rentre chez moi pour ranger, prévenir plutôt que guérir, oui.

 

Arrivé, je regarde le jardin  de l’œil du gars pas courageux, le grand tilleul me l’a pourri de feuilles et d’hélicoptères, comme les enfants appellent ces graines accrochées par une tige à cette unique feuille particulière qui dégringolent de cet arbre tout l’été en tourbillonnant. A petite vitesse, je ramasse tout cela avec la tondeuse pour la réveiller un peu puisque la pelouse n’existe plus depuis longtemps, grillée par deux mois de cuisson. Mon bilan carbone en prend un coup, mais pas de moraliste vert à l’horizon, ouf. J’en profite ensuite pour attacher les volets, ranger les pots qui seraient tentés de jouer les filles de l’air, je mets deux-trois colliers sur les tuteurs des légumes qui pourraient être séduits par la position horizontale, ce que je peux comprendre. Je planque le séchoir et les pinces  à linge dans l’atelier, en compagnie du barbecue, mais ils feront bien ce qu’ils veulent cette nuit, l’appentis n’a pas de porte.

 

Je finis mes petites affaires tranquillement sous un ciel qui s’assombrit ou s’éclaircit, pas encore résolu à craquer. Un petit vent chaud souffle, sympa mais sans plus. Nous décidons alors de manger dehors, un peu par bravade provocatrice et vaguement anarchogauchiste,  mus par cette envie placide ou terrible de résister à tout, qui ne nous quitte plus depuis que le libéralisme a gagné la lutte des classes. Repas tranquille donc, malgré quelques lueurs inquiétantes dans de sombres nuages au loin, que notre déni renvoie sous prétexte que l’ « on n’entend pas le tonnerre et que les éoliennes tournent gentiment ». Après la vaisselle, nous trainassons encore un peu dans le plastique vert moche du salon de jardin, mais il fait déjà nuit, plus besoin d’attendre qu’elle tombe, ce qui bouleverse notre emploi du temps estival en vigueur, surtout que le vent se hausse d’un ton, il est froid, là. Nous nous rapatrions dans la maison, pleins d’une coolitude un peu feinte malgré les premières gouttes d’eau, dont le débit s’imprime alors dans un imperceptible crescendo, auquel la cheminée fait écho.

 

A peine la porte fermée, la main sur la poignée, un spectacle m’est offert gracieusement, il se joue derrière les carreaux, des tourbillons de poussière se mêlent à l’eau et aux feuilles, pas de tonnerre ni d’éclair, juste une soufflerie humide et géante, désaxée qui transforme le jardin en shaker, à tel point que l’on ne le voit même plus. L’eau frappe les carreaux et le sol violemment, telle une compétition entre jets d’eau et seaux, je vois passer un vol d’arrosoirs oubliés. Mes pieds nus alertent, mes orteils enregistrent que l’eau est passée sous la porte en vrai bois, stigmate rare qui m’indique l’averse exceptionnelle. Je mets de quoi éponger. Tout le monde regarde aux fenêtres l’infernal déchainement, une fois que la poussière accumulée en juillet-août a été embarquée par le ruissellement, je me dis que la visibilité a du s’améliorer, j’allume l’éclairage extérieur. Surprise. Le tilleul à fait sécession, deux de ses énormes branches sont à terre. Nous restons là, fascinés, à regarder les volutes torrentielles de la grosse pluie s’installer dans l’allée. Une fois le vent un peu apaisé. Je fais vite le tour du proprio, en particulier du grenier. Pas d’eau, pas de casse. Les ardoises ont assuré.

 

En redescendant, pour oublier la légère anxiété que j’ai toujours dans ces cas-là, millésimée 1999, je tente la télé, un panneau « mauvais signal » me signifie que je n’ai plus de TNT. Un coup de tonnerre me rappelle aussi qu’il vaudrait mieux ne pas utiliser d’appareil électrique pour l’instant. Je prends donc mon notebook et la 4G pour passer le temps. Une séance d’Internet, cela faisait si longtemps. Le blog est très calme, mortel même, faut dire que je ne fous rien d’autre ces temps-ci qu’à trainer toujours dehors, je vais donc sur les sites d’info et mets fin à cette abstinence aoutienne qui m’avait fait tant de bien, à l’insu de mon plein gré, comme qui dirait.

 

Je tombe sur le Jean-Luc, entre Quinoa et Ruquier, au milieu « ces étrangers qui volent not’ boulot », avec  les commentaires hallucinants de ses fans transis d’intolérance (qu’ils confondent avec insoumission, c’est con ), groupies qui n’ont toujours pas compris qu’il (ils?) faisait partie du système spectaculaire. Je zappe de suite, en chantonnant « Mélenchon nos cultures, pratiquons l’ouverture ». Pas de pot, sur le site d’une chaine d’info, je tombe sur le Juppé en meeting, je contrains fortement mon index à ne pas glisser tout de suite pour l’écouter trente secondes exposer son identité heureuse, calme et zen, comparé à l’agressivité des autres produits conservateurs présents sur le marché électoral, il me semble même qu’il se fasse gravement suer à lire son discours de sénateur, chiant et pas clivant hein, campagne électorale oblige,  on se croirait avec Pierre Méhaignerie. Je me dis que si c’est ce soporifique-là qui est en tête des sondages, le « c’était mieux avant des trente glorieuses » triomphera du c’était mieux avant du « Maréchal nous voilà ! » de la petite entreprise Le Pen. Je ne cherche même pas à comparer, le moins pire je n’y cotiserai plus. Jamais !

 

Je continue sur le fil d’info du Figaro. Si, si, (c’est même l’un des plus factuels de tous, non je n’ai pas dit objectif) pas la peine de me prendre Dassault. Les simagrées Goebbelsiennes du Sarko ne me donnent même plus envie de gerber, je le regarde s’agiter comme un délinquant qui voudrait tant échapper à la prison, on comprend vite qu’il soit prêt à tout pour revenir et étoffer ainsi la liste de ses délits, tel un serpent venimeux se mordant la queue. Le plus inquiétant est qu’il semble donner le tempo des primaires de droite. Rien d’étonnant chez les bonapartistes, dans ce combat cynique des chefs, c’est le plus bestial qui domine, toujours.

Le prototype-copie de gauche, celui de la valse républicaine policée, n’est pas mieux. Je passe pour aller aux primaires de gauche. La socialiste d’abord, rien de bien nouveau, tous les vieux chevaux de retour sont déjà là, avec le bourguignon et le brestois, éternels chercheurs de la meilleure fiche de paie qu’implique le moindre pouvoir de nuisance dans la démocratie des partis. On nous propose là encore pour ce faux-vrai scrutin, tout comme la démocratie sondagière, de choisir le moins pire, François a l’air de croire que c’est peut-être lui. Le comble du pathétique. Mais je vous l’ai déjà dit : Jamais !

Quant aux restes épars de l’éventail primo-électoral crypto gauchiste, que dire sinon qu’ils font exactement ce qu’attend le bipartisme de leurs fonctions, entre idiots utiles et miroirs aux alouettes occupationnels, sans compter les vessies devenues lanternes. Seul Poutou, unique salarié de ce trombinoscope, semble demeurer honorable dans ses actes et ses discours, et bon nombre des frustrés de la gauche, qui le sont en fait du système électoral, y paraissent sensibles (chut, il ne faut pas déranger leurs croyances révolutionnaires qu’elles soient rouges, vertes, noires ou datées de 1789). Un fort contingent de ces perdus semblent se diriger tout droit vers le bulletin de vote du NPA au nom du moins pire, la secte de LO étant sans doute « plus pire » que ce moins pire, je pouffe, mais que faire d’autre.

 

Ça fiche la trouille, hein, cette vacuité. Le terrorisme faisant plus peur que ce vide politique sidéral, ils vont donc à l’essentiel : le débat sur l’identité et la nation, celui-ci s’est définitivement substitué à ceux sur le partage des richesses et  l’émancipation.  La démocratie et le nationalisme ne faisant jamais bon ménage, il n’y a donc pas grand-chose à attendre de 2017, quant à l’économie, c’est plié on nous dit, on nous l’écrit même, toujours sur le mode martial.

 

Bon, ce soir je retourne au jardin, si je le regarde trop longtemps dans cet état ravagé, sans le remettre dans le bon sens, ça va nuire à mon moral guilleret, et me faire désespérer de toutes ces billes en cours, citées plus haut. Agir donc, ou avoir l’impression d’agir, un peu comme pour les élections. Jamais ! Vous crie-je. Le moment est venu de le dire et de s’y mettre, pas aux urnes, à la tronçonneuse.

 

 

 

Photo: DR benoit-danieau



14/09/2016
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