Les billets de Joseph

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Plouquie

Ce n’est pas une nation, elle ne s’étend pas, elle a même tendance à se rétrécir voire à s’appauvrir. Décalée et loin des fracas et de la fureur du monde, ce serait plutôt la diminution de l’Etat de la dèche, elle n’est pas médiatique, ni islamique. Tout le monde s’en fout, l’oublie même.

 

Peu d’habitants, vous-mêmes qui n’en êtes pas, devez la longer souvent en voiture,  vous pourriez même la regarder, comme au zoo, protégés par les vitres de votre voiture. D’autres la frôlent en vitesse, en train, entre 50 et 300 kilomètres-heures, ou encore l’ignorent et la survolent à 10 000 pieds (de nez) d’altitude. Attention ne confondez pas ce territoire avec celui des entrepreneurs agricoles, les frontières de la Plouquie sont floues et éparses, pas défendues. Certains engins de ces industriels subventionnés en profitent d’ailleurs pour rogner ses limites, pour lui piquer un fossé, faire disparaître un chemin, ou raser une haie et quelques fois des bois entiers.

 

Dans ce pays fragmenté et diffus, personne ne vient. Certains le traversent pour accéder à des petits ilots indépendants, appelés lieux touristiques quand ils ont du succès, et lieux culturels quand ils en ont moins. Un tas de pierre de quelques siècles  plus ou moins rénové, un site naturel spectaculaire préservé dont on aura souvent massacré les abords pour l’accès au plus grand nombre, sans oublier le passage à la caisse pour y rentrer. Il existe aussi des enclaves plus importantes qui ne cessent de dévorer la Plouquie, elles s’appellent stations balnéaires ou stations de ski.

 

Des routes et autoroutes y mènent, des voies ferrées, étanches à tout interrelation plouquienne, quoique parmi elles, une espèce particulière nommée les non-rentables disparaissent, et reviennent réintégrer la Plouquie, occasion pour des gueux, quelquefois anglais, d’acquérir les anciens postes des garde-barrières, et de tenter de prendre la nationalité plouque. Oui, soyons clairs, être au centre-ville  de Guéret, sur une rocade à Vesoul, ou dans un lotissement à Aubenas, ce n’est pas être sur le territoire plouc, mais juste à coté sur l’Etat qui lui fait antichambre : la Province, en novlangue, ca se prononce « en régions ».

 

Si vous  allez en Plouquie, c’est que vous y êtes invités, obligé, ou que vous en avez vraiment envie. Le prétexte sportif est l’occasion de quitter les nationales et départementales, pour aller pratiquer l’exercice physique, marcher, courir ou pédaler, les plus feignants, les plus aisés, voire légèrement frimeurs le feront par procuration à cheval, en quad ou en 4x4. Les deux dernières catégories laissant des petits coins pas aussi propres qu’ils les ont trouvés en y entrant.

D’autres y vont par choix, des urbains ou rurbains lassés par tout ou partie de la vie moderne, le stress, la délinquance, le boulot, y vont se reposer pour profiter des acquis du Front Populaire -même les libéraux ne renoncent pas à ce droit, curieux non- : les congés payés. Et d’autres y passer une retraite bien méritée, mais qui, comme la Plouquie, se réduit en peau de chagrin. Enfin, il existe de multiples motivations qui germent dans la tête de certains de nos contemporains pour se mettre au vert, pas seulement les gangsters, mais aussi des écolos motivés, des communautés diverses et variées, qui préfèrent la marge à la rente, un dieu à l’argent, ou plus simplement l’ermitage à la foule.

Par contre, certains y sont contraints, ou pas. Ceux qui y sont nés, bien sur, il faut juste qu’ils résistent aux lumières de la ville en grandissant, d’autres fauchés, pour qui la Plouquie permet de vivre de peu mais toujours mieux qu’en ville, ces exclus, ces accidentés de la vie se mettent parfois à faire des choses inconnues jusqu’alors, cultiver son jardin, se chauffer au bois, parler avec leurs voisins, plein de trucs bizarres, mais parler en patois, ça ils ne le pourront pas, jamais.

Certains aussi trompés par l’aspect de ce désert flou qu’est la Plouquie, découvriront alors, en véritables ethnologues, que dans ces hameaux minables, ces trous du cul du monde, une vie sociale existe, cachée pour le citadin insensibilisé qui ne sait plus regarder ou écouter, juste consommer.  Le commerce y survit difficilement sans ces horreurs artificielles que sont les Zones d’Activités Commerciales. Il y est ambulant dans les coins les plus reculés de Plouquie, en zone blanche de toute agglomération (de portable et d’internet aussi, tant qu’à faire). Qui n’a pas été acquérir l’échelle pliable au camion d’outillage, attendre le passage du boulanger ou de l’épicier une fois par semaine ne sait pas ce que c’est que le dépaysement. Mais aussi sédentaire, hors des marchés, vous pouvez même encore trouver des quincailleries ou l’on vous vend au détail le clou de tapissier, voire des  boucheries charcuteries ou le patron choisit ses bêtes sur pied dans le champ, dans des endroits insoupçonnés.

On sait y faire la fête aussi, on y trouve les substances festives identiques à celles de la ville sans trop de problème, et une fraternité, un peu à l’ancienne parfois, que même un journaliste se disant gonzo ne saisit pas, et préféra ridiculiser, ici. Bien sur que la haine a réussi aussi, à s’installer en Plouquie, la TNT et les journaux locaux entretiennent tout cela comme dans tout le pays, seule véritable  égalité de traitement commune à tous : le médiatique. Comme dans tout groupe social, les affinités se créent ou se délitent, vivre en Plouquie n’est pas un chemin de pétales de roses, même recouvert de boue ou de bouses. La proportion d’abrutis ou de voleurs est la même qu’ailleurs, les atteintes aux libertés par excès de pouvoir idem, mais avec cette densité faible, il est plus aisé de les repérer puis de les éviter, autant que faire se peut. On pourra noter cependant  que certains groupes sociaux concentrent ce type de ploucs : les chasseurs et les conseils municipaux en présentent ainsi un taux anormalement élevés. Etude empirique faite au pifomètre par le présent bloggeur qui pourrait naturellement être contestée et discutée à loisirs, mais qui ne le fera pas changer d’avis, les exceptions confirmant sa règle très personnelle.

 

La Plouquie a aussi d’autres usages pour l’Etat Jacobin et les multinationales. D’un faible coût et peu habité, c’est le terrain idéal pour se débarrasser des nuisances de la collectivité à bon compte ou satisfaire des besoins en ne dérangeant pas le citadin, majoritaire sur les listes électorales. Un aéroport, un barrage artificiel, une ligne à haute tension, un forage de gaz de schiste, ou l’enfouissement des déchets nucléaires, sont des tentations pour cet Etat centralisateur et les privés qui sont rémunérés pour les réaliser. Manque de chance, la Plouquie se fait rebelle, et fédère des forces insoupçonnées indigènes ou endogènes pour contrecarrer des actes qui pendant les trente glorieuses passaient comme une lettre à la poste, cela malgré l’arrosage préalable en pognon du territoire –qui s’amenuise aussi, c’est la crise, hein-. En parlant de Poste, en Plouquie, celle-ci disparaît aussi, tout comme les écoles, en ville c’est juste des classes qui peuvent ré ouvrir, une école, une fois fermée, c’est définitif.

 

La ville est aujourd’hui le lieu de résidence majoritaire des terriens peuplant la planète, la Plouquie déjà souillée va probablement servir de dépotoir final, comme l’Afrique l’est aujourd’hui pour un monde occidental fini. Une autre Plouquie va subsister, propre et nette, qui deviendra un lieu rare, donc un luxe, avec une haute valeur ajoutée. Déserte plus qu’elle l’aura jamais été, habitée par des gens aisés qui pourront se passer de solidarités et des services publics dans des forets qui se seront remises à pousser sur les terrains non rentables pour l’agriculture ou le tourisme, ne conservant que quelques autochtones pour entretenir des lieux symboliques choisis du pays musée que nous allons devenir, à l’insu de notre plein gré, si nous ne prévenons pas notre jeunesse.

 

 VincentVanGoghlaSieste.jpg

 

Publié initialement sur médiapart le 11/10/2014



23/05/2016
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