Les billets de Joseph

Les billets de Joseph

Le marcheur, le photographe et l’écorcheur

 

Le marcheur marche. Il ne le fait pas vers St-Jacques pour rechercher Dieu, ou lui-même. Il ne le fait pas non plus  pour prendre du recul sur la politique et la pression médiatique. Il ne chemine pas en mystique vers Katmandou, ni  pour compléter les pages de son kamasutra personnel non plus. Il marche juste pour retrouver sa santé, sur prescription médicale, dans sa campagne.

 

Il est plutôt pragmatique, le gars. En effet, il ne voulait pas se faire opérer du dos, même après avoir subi moult sciatiques sur de longues années, avec en prime les douleurs qui les accompagnent. Puis un jour, après deux mois de souffrances, tout juste atténuées par la morphine, devenue une presque sœur puisque les antalgiques n’y suffisaient plus, son pied gauche a soudain cessé de lui obéir. Il se résigna alors, à prendre rendez-vous avec un chirurgien et ses dépassements d’honoraires. L’opération non désirée fut un succès, la douleur évacuée dès son réveil, la commande du pied gauche instantanément rétablie. Il se lança alors avec calme et application dans sa convalescence, avec kiné et marche fortement conseillées. Pour pouvoir remuscler et assouplir son dos lui éviterait de rester raide quand le troisième âge arrivera, et surtout de reprendre rapidement une vie normale.

 

Alors, il marche. Une à deux heures par jour, au gré des cartes bleues de l’IGN. Il a commencé par quelques centaines de mètres autour de la maison, quand il n’était pas encore bien vaillant, puis il y a pris goût, progressivement. Parcourant en tout sens les chemins aux alentours, il apprécie finalement cet effort mesuré, mais aussi  l’observation d’une nature à laquelle il ne prêtait guère attention jusque-là. Car depuis, il ne compte plus les rencontres à poils ou à plumes, ne se lasse pas de la beauté des paysages, de la variété des lumières de l’aube au crépuscule, d’un ciel bleu pur ou nuageux, ou encore de la diversité du peuple insecte qui l’accompagne à chaque fois.

Ce jour là, en cette fin de mois d’août fraîche et variable, il grimpe à flanc de coteau un chemin en pente douce  qui longe une grande pâture voisine d’un grand bois, de l’autre coté, un peu surélevé, un champ de blé fraichement coupé, jaunit tranquillement, protégé par une haie buissonnante.

 

Encore quelques mètres et il franchira le haut de la colline, il se dit qu’il pourra alors bénéficier d’un superbe panorama sur la vallée. Est-ce un effet du soleil ou son œil devenu aiguisé, mais son regard est soudain attiré par quelque chose sur la clôture en fil de fer barbelé du champ d’herbe. Il distingue assez mal, il s’arrête et s’approche doucement. Presque le nez dessus, il a un soudain mouvement de recul.

 

Un lézard, aussi petit que mort, est empalé sur une pointe d’un tortillon du barbelé. Un peu dégouté, il suit le fil, et sur le barbillon suivant, une sauterelle a subi le même sort. Une sorte de scarabée sèche sur un troisième. Intrigué, il se gratte machinalement le crâne tout en réfléchissant à quoi  pourrait être due cette macabre guirlande. Un jeu de gamin ? Un hasard ? Une bestiole ?

 

Tout à coup, le buisson  derrière lui étouffe un rire. Il se retourne de surprise. Un morceau de la haie vient à sa rencontre, le salue tout en s’excusant de l’avoir effrayé. La capuche enlevée, la veste de camouflage ouverte, un homme se découvre,  tenant un appareil photo muni d’un gigantesque objectif kaki, il lui tend une main ouverte. « Surtout, ne touchez à rien ! ». Le marcheur bredouille un bonjour mais ne peut s’empêcher de demander « Mais qu’est ce que c’est que ça ? C’est vous ? ». Le photographe sourit : « Non, oh non, il s’agit d’un simple garde manger ». Devant la mine sceptique du marcheur, le photographe précise  « Il s’agit d’un oiseau, oui, pas très gros, il empale ses proies sur des épineux ou des barbelés, c’est juste son séchoir, il va bientôt revenir pour son repas, et comme je n’ai jamais pu photographier de Pie-grièche écorcheur -c’est son nom- je postais ici pour tenter le coup. » « Et vous êtes là depuis longtemps ? » interroge le marcheur. Le photographe embraye « Quelques heures, en fait, j’ai eu des infos comme quoi un cerf se baladait à la lisière du bois en contrebas, c’est lui que j’attendais. C’est long, l’affût. On s’occupe comme on peut. En zoomant un peu au hasard dans mon champ de vision disponible, je suis tombé sur ce truc, pour moi c’est du bonus quand cela se produit, mais l’écorcheur ne viendra plus maintenant avec notre bavardage. Je n’ai pas vu le cerf, non plus ».

 

Il farfouille dans ses multiples poches, en sort un smartphone, fait glisser son doigt, trouve ce qu’il cherche, et tend en souriant, l’appareil au marcheur. « Regardez, c’est lui, l’écorcheur, il est beau, non ? ».

 

 Lanius_collurio_5.jpg

 

PS : Le petit + ornithologique : http://www.oiseaux.net/oiseaux/pie-grieche.ecorcheur.

 

 

 

 



29/05/2016
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 37 autres membres