Les billets de Joseph

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Nécro spirituelle

 
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Ah le fumier ! Sous prétexte que je suis stagiaire, le rédac chef m’a ordonné ce matin de préparer un truc pour la nécrologie de Nicolas Sarkozy. Je ne sais pas ce qui lui prend, y a bien le temps, mais l’ambiance « Chirac partout, info nulle part » l’inspire, je crois, ou le conditionne plutôt, comme nous tous. J’ai bien essayé d’y échapper en lui proposant une nécro de Valéry Giscard D’Estaing, le doyen avait plus de chances d’être en Une avant, mais il m’a dit qu’elle était prête depuis vingt ans. En se marrant, il a ajouté qu’elle était à la pointe de la modernité puisqu’elle avait changé de format informatique plusieurs fois avec les migrations du logiciel métier servant à l’ensemble des journalistes de la rédaction. Après j’ai tenté le coup avec François Hollande, il n’a qu’un an de plus au compteur que le nabot. Mais rien à faire, le patron n’a pas bougé, et m’a vraiment sorti n’importe quoi, affirmant que les petits nerveux ça fait moins de vieux os que les jouisseurs tranquilles.

 

Alors me voilà, devant mon écran blanc, je sèche. J’ai zappé sur les sites d’infos pour voir comment ils ont goupillé celle du grand Jacques -ben oui, faut bien que je prenne le pli du troupeau dès le début pour m’habituer-. Un bel ouvrage, incroyable, il est évident qu’il me faudra repeindre toute la carrière du futur cadavre en rose bisounours, en insistant sur : la belle personnalité de l’homme – pour le dominant émotionnel, y a du boulot -, la solidité de son clan familial -pour le culbuto sur talonnettes, ça va être chaud -lapin-, ou encore le respect à l’unanimité de la classe politique (ceux qui lui survivront oseront-ils faire autant les faux-culs qu’avec Chichi), j’en passe et des plus énormes.

 

Pour Nico, va falloir que je commande un camion de brosses à reluire, que je passe trois couches de vernis au moins, sans compter une primaire d’accrochage -c’est dans le thème-, pour éteindre sa couleur initiale un rien clinquante, afin de le blanchir -ce que même les tribunaux n’arrivent plus à faire-.

 

Principe numéro un, on respecte l’homme puisqu’il est à peine froid, - trois mois après on sortira des biographies incendiaires, le respect des institutions ça s’appelle, interdit de rigoler, on vous le vend deux fois, surtout, et c’est bien cela qui compte-. Tout ce qui fait un peu tâche, je l’omettrai soigneusement, en le glissant sous le tapis mémoriel. Sarko, j’vais être obligé de le maquiller comme une voiture volée. Pour Chirac, ils se sont tordus le nez en transformant ses innombrables promesses mensongères jamais tenues comme des nécessités pour gagner des campagnes électorales avec efficacité (sur les radios, on entend le petit rire ridicule et étouffé du journaliste comme pour s’excuser du truisme qu’il vient de balancer), ils ont même un peu gommé « le bruit et l’odeur » parce qu’il était le pape de la françafrique, et entre autres exemples, avait trouvé un appart HLM à une famille maghrébine et parisienne, comme si cette pseudo bonté n’était pas autre chose que de l’électoralisme et du service particulier. Paris avec la Corrèze, furent ses territoires de service des intérêts personnels –même les fauchés votent, il a donc arrosé tout le monde-, qui en échange, a versé de belles larmes de crocodiles aux invalides et inondé les médias avec, le français a la reconnaissance du portefeuille, qu’il confond aujourd’hui avec son cœur, puisque c’est au même endroit.

 

Mais ne vous inquiétez pas, le phénomène s’est déplacé, maintenant, le français ne regarde plus le monde avec ses yeux, mais avec son smartphone, c’est décidément les funérailles de l’esprit critique, cette affaire.

 

Mais revenons à Sarkozy, le tas de poussière à dissimuler tiendrait plus du dépôt d’ordures que de l’Everest politicien. Et plus je regarde sa carrière, qui pourrait bientôt ressembler à un extrait de casier judiciaire, plus je me dis qu’il va être difficile d’en faire un héros. Quant à le sanctifier, je crains que les citations du Saint Nicolas ne soient contraires à la morale chrétienne, réciter le bréviaire sarkozien lors du deuil national serait de l’ordre du happening artistique décalé. J’en chope quelques-unes sur le wikiquote, je pouffe, mais je me calme vite fait car j’ai tout l’open-space qui me regarde. Ils n’ont pas l’air de trouver ça drôle, le journalisme, pourtant ici dans ce modeste torchon de province, ce n’est pas des Plenel, hein.

 

Je cherche un angle d’attaque différent, une mise en perspective, comme on me l‘a enseigné à l’école. Mais rien à faire, sa vulgarité crasse, ses mauvaises manières, et son arrogance de caïd de bar louche se présentent toujours en premier dans la boite à idées de mon petit cerveau. Puis même quand par miracle, j’arrive à dépasser cette limite sans doute due à ma propre éducation, j’ai les affaires libyennes qui me sautent à la figure, ce mec a quand même lancé une guerre pour éliminer son sponsor, merde. Il a mis les quartiers à feu et à sang pour devenir président, et chassé l’étranger comme jamais depuis Vichy ou l’Algérie. Il a tout osé, tout dit et sans doute tout fait pour satisfaire son ego boursouflé, et personne d’autre.

 

Je jette un œil sur la chaîne d’info diffusée en continu dans la salle de rédaction, l’émotion a remplacé les faits, le faux remplacé le vrai, qu’importe. Je me doute que les quatre écrans qui veillent au-dessus de nos têtes ne sont pas là pour tenir en éveil notre curiosité mais bien pour ne pas être en retard sur les autres médias et faire des économies d’investigation. Comme si vous n’aviez pas remarqué que la plupart des sources des médias sont un autre média, ou alors une source anonyme proche du sujet, qui en général diffuse les éléments de langage voulus, quand ce n’est pas tout simplement le dossier de presse rédigé à cette fin repris par tous les haut-parleurs du monde médiatique, sans aucune vérification ou presque. Perroquet ou copiste, tel est mon avenir professionnel.

Bon je m’égare, je n’ose imaginer ce que sera le deuil national offert à Nicolas. La chapelle ardente sera peut-être installée dans le hangar de Sangatte sonorisé par Enrico et Barbelivien -s’il ne décède pas en détention ou en exil- pour nous rappeler son  grand œuvre. Là, viendront toutes les pointures de la Sarkozie qui ont tant brillé par leur tact, leur esprit vif, leur immense culture et leur modestie légendaire. Imaginez Hortefeux, Dati, Laporte, Lefebvre, Morano et j’en oublie (comment est-ce possible…). Tout ce beau monde en boucle pendant quatre jours, un cauchemardesque retour vers le futur. Ceux qui manqueraient à l’appel le seraient pour un problème de santé, pas comme Bernadette, hein, ce n’est pas cette santé-là qui les tiendrait éloignés mais plutôt la prison, comme ce grand amnésique de Guéant.

 

Je parcours d’un doigt léger la carrière de Chef d’Etat du mari de Carla Bruni, couple improbable, comme son bilan. Il a, en vrac, été à l’origine de DSK au FMI (c’était pour l’écarter, reconnaissons-lui cet objectif plus qu’atteint), sauvé les banksters lors de la crise des subprimes en plombant la dette française –nos sous- comme aucun ne l’avait fait avant lui, nommé Fillon comme unique premier ministre ( un vrai talent pour s’entourer, décidément), et surtout mis la police comme solution à chaque problème de société ( le seul héritage qu’ont repris ses successeurs, le manifestant pauvre, plaie béante à l’exercice du pouvoir).

 

Ma page est toujours vierge, je me dis qu’un deuil national pour ce bouffon, c’est impossible, ah mais ils l’ont bien fait pour Chirac, alors Il n’y a pas de raison, ce sera pareil. J’essaye alors de sortir du nombril national, de lui faire prendre une hauteur internationale, mais je reste à 1 mètre 66, c’est terrible, ce néant. Si j’enlève la communication des secouages de main devant l’Elysée avec sourire niais, il n’y a rien qui subsiste. Y a bien quelques-uns de ses lamentables sketches et postures, mais rien à retenir même sur le plan symbolique, on laissera aux poubelles de l’histoire ces discours néo-colonialistes ou otaniens.

J’espère qu’il a profité de sa pré-retraite pour lire quelques livres, mais je me dis que s’il en a ouvert même qu’un seul, c’est probablement pour y chercher sa trombine et son patronyme. Quelle déception ce doit être de ne pas se trouver. Il n’est que sur Youtube et pas qu’un peu. Tiens, ça serait novateur un enterrement dématérialisé. Dématérialisé ? Ben voilà ! Nous y sommes, il n’existe déjà plus alors qu’il est encore là ! Trop fort, le Nico, alors qu’il a pollué grave nos vies pendant cinq longues années –sans compter celles d’avant ou il chauffait la salle-, agitant nos émotions, les haines et la peur. Moins fin que Chirac, et qui l’eut cru, nous étions encore plus contents qu’il parte, aussi.

 

Bon, il se fait tard. Sur ce bilan abracadabrantesque, j’vais voir le rédac chef pour lui dire que cette nécro n’est pas dans mes capacités. Je le trouve en train de siroter son Lagavulin véspéral, tranquille, il vient de boucler, détendu de la plume. Je commence à pleurer ma cause, il s’en fout carrément. « C’est toujours pareil avec ces foutus stagiaires, vous m’emmerdez ! », il me jette dehors sans même m’offrir un verre de whisky. En me criant qu’il me remet aux brèves et aux réseaux sociaux -avec le placardisé du journal- « Un enterrement de première classe ! ».

 


02/10/2019
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