Les billets de Joseph

Les billets de Joseph

Les baudruches

ballontrumpeur.jpg

 

Tu donnes un ballon à l’enfant, avec son gaz et sa petite ficelle. Le drôle en fait toujours bon usage, multiple.

 

Il le lâchera dans le ciel avec un petit message, pour un voyage par procuration, le regardant monter tout là-haut, plissant les yeux pour tenter de le suivre jusqu’au bout de son parcours visible. Après viendra l'invisible, imaginer où il a pu aller, voir du pays, voire même au-delà des frontières. Puis ensuite se demander qui va le ramasser, qui va renvoyer la petite carte, pour se faire un nouvel ami, ou tomber amoureux, être invité en Afrique ou en Amérique. Peut-être même changer de vie, oui, le petit ballon anodin est porteur des rêves du petit qui l’envoie, l’initiant à, la poésie et à la légèreté sans qu’il s’en doute. Il doit attendre son retour, patient, si patient qu'il l’oubliera,  le parti ne reviendra jamais, ce qui est souvent mieux pour délirer, contrairement au voisin qui lui ramènera la dépouille de la baudruche parce qu’il l’a retrouvée dans le champ d’à côté ou dans son cerisier, se moquant un peu des 500 mètres parcourus au lieu du tour du monde escompté.

 

Le gamin peut aussi le garder pour lui, l’attacher à son vélo, comme une balise, ou en version  statique le lester d’un petit poids pour le maintenir immobile au ras du sol, alors  là, ça peut vite être compliqué, faut s’appliquer, un gramme de trop, le ballon reste au sol comme un vulgaire ustensile de football, un gramme de moins, il part vers le plafond de la chambre, c’est parfois difficile de le récupérer quand on est tout petit que même en sautant on n’arrive pas à toucher le plafond, ni choper cette maudite ficelle. Mais une fois que c’est bien calé, il lui dessine un nez une bouche, et ça lui fait un copain qui l’accompagne de son sourire permanent. Pratique, il ne lui pose pas de question, ne le juge pas, reste très attaché avec  son fil à l’une de ses pattes. Puis lentement, le gaz part. Le visage en belle goutte plastique retournée mais parfaite , va maigrir doucement, se ternir, ne plus laisser passer la lumière et en être moins beau.  Il va commencer à descendre vers le sol, être plus lourd, puis se flétrir, se rider et devenir carrément moche, si minuscule que le mioche l’oubliera ; là aussi.

 

Puis pour les plus turbulents, le ballon de baudruche se fera objet de transition, punching-ball, projectile, ballon des héros sportifs, objet de jeux divers et variés qui finiront invariablement par l’explosion de l’impétrant en  faisant sursauter leurs parents. Certains petits malins arrivant avec ses restes à fabriquer de minuscules bulles péteuses, d'un geste précis, ce qui  prolongera sa courte vie en autant de pétards à un coup, refaisant sursauter les parents, qui ordonneront, excédés, à leur progéniture  la mise au classement vertical du défunt. Puis le drôle, faute de jouet, ira jouer ailleurs, la nature a horreur du vide.

 

Les parents, les anciens enfants, ont aussi droit à leur lâcher de ballons quinquennal, celui-ci nous crie nouveauté ! Comme les slogans publicitaires des baudruches du fast-food. Tout le monde vient voir, sauf quelques lassés du cérémonial de cette messe païenne, des déçus de la dernière et même quelques autres qui estiment ce truc totalement vain.  Évidemment, les adultes n'ont pas pu s'empêcher de pourrir le concept, d'en faire une compétition par élimination, d'en choisir le plus beau, le meilleur porteur de promesses pour cinq ans, de celles du voyage en ballon de baudruche de leur enfance.

Cette année n'a pas dérogé au rituel, toute la presse était là, un monde fou l'accompagnait, on se serait cru à un meeting aérien, le genre de spectacle où les gens vous disent que c'est beau, mais en fait, Ils  viennent pour se faire peur par procuration, fascinés par le risque pris par le pilote,  de ses loopings, de ses montées en chandelles ou ses chutes en piqué, se redressant juste avant le sol, faisant frissonner la foule, dont une partie se repaîtrait volontiers de son échec , comme un souhait morbide de voir s'écraser en une violente explosion l'objet de leur désir frileux, un plaisir dissimulé, telle une consolation à leur vie triste et fade . Du rire, du sang et des larmes, la peur, puis plus rien pour finir. Chacun rentre chez soi, demain c'est lundi, merde.

 

Voilà, c'est passé, terminé, plus de ballons se noyant dans l'éther, seules les dernières bulles de champagne  viennent crever sur la pointe d'une pyramide nocturne somptueusement mise en scène, comme meurent les envies de ceux qui y ont cru, une fois de plus. Le vainqueur solitaire marche sur nos rêves et nos souhaits tout en prétendant les incarner, le spectacle triomphe une fois de plus, se jouant de l'insoutenable légèreté de nos êtres et préservant la lourdeur des tiroirs caisses, comme toujours. Et le cirque des législatives bientôt dans votre ville, ils ne vous lâcheront pas, vous ne vous ennuierez pas, ils seront toujours là, à nous faire croire au mensonge de nos vies dans leurs urnes.



17/05/2017
4 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 37 autres membres