Les billets de Joseph

Les billets de Joseph

Une santé de fer

Le ruisseau dessine ses méandres entre les deux versants des collines formant une seule et même pâture. La rive est parsemée de bouquets de noisetiers. Un chêne est planté au beau milieu du champ, comme s'il devait en symboliser l'axe central, la petite rivière passe à ses pieds. C'est là, contre cet arbre que je pourris doucement. L'avant appuyé sur le tronc, l'arrière dans un buisson dont les branches commencent à m'envahir gentiment l'habitacle. Elles me chatouillent la croupe, les jours de grand vent. J'aimerais bien raconter mon histoire, mais je ne peux ni parler à quelqu'un, ni communiquer par signes avec quelque chose. J'ai seulement ma conscience pour moi. Une âme, comme en ont tous les objets inertes, enfin je le suppose. Je n'ai pas les moyens de le vérifier, la seule personne avec qui je puisse parler, c'est moi.

 

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Pourtant qu'est ce que je donnerais pour échanger avec quelqu'un. Mais bon, « Tel est ton destin ! » comme le chantait l'autoradio, il y a déjà longtemps. Je vais me raconter ma vie, une nouvelle fois. D'une part, ça passe le temps, d'autre part ça m'évite de penser à ma fin prochaine. Je sens bien que la rouille et la corrosion me grignotent les derniers atomes métalliques encore intacts. Depuis vingt ans que je suis à la même place, immobile, mes seules distractions sont le rythme des saisons, le passage des vaches et plus rarement celui d'un pêcheur, voire d'un tracteur. Le ruisseau me mouille un peu le plancher au printemps ou les soirs d'orages. L'été, je suis bien, à l'ombre de mon arbre, la proximité de l'eau me rafraîchit encore un peu plus. L'automne, je rouille artificiellement avec les feuilles qui me recouvrent, l'hiver m'en remet un vrai coup avec le gel et quelques rares flocons.

C'est quand même un comble de ne plus bouger pour une automobile ! Je préfère cela malgré tout. Finir à la casse, transformée en mètre-cube ou fondue en plaque d'égout ou en gouttière, très peu pour moi. Quoique, la réincarnation m'ouvrirait une deuxième vie. Je m'imagine en Ferrari ou en paquebot. Je rêve évidemment. La ferraille d'une Renault4, elle doit certainement être réutilisée pour refondre des fers à repasser ou des écumoires. Chez les  métallurgistes aussi, la hiérarchie sociale existe. Je préfère finalement cette mort lente au fin fond de la gâtine plutôt que de vivre une deuxième fois dans le placard d'un F5 d’un HLM bruyant et impersonnel.

 

375 314 kilomètres au compteur, c'est ce que quelqu'un pourrait lire sur mon tableau de bord – d’accord, faudrait qu'il gratte un peu la mousse, avant-. « Une belle vie, de beaux voyages, tout de même », c'est ce que disait mon dernier propriétaire, il ajoutait « une 4L c'est incassable ». C'était juste avant de me transformer en poulailler, le salaud ! Je m'égare, je m'égare. Reprenons les choses dans l'ordre, ça sera plus agréable. Mon châssis a perdu beaucoup d'atomes avec l'oxydation Depuis que ça a commencé, j'ai de gros problèmes de mémoire. Il vaut mieux aborder les choses de manière chronologique. Je suis née à Boulogne-Billancourt sur la chaîne numéro 4. En 1968, ça devait être en avril... ou plutôt en mai ou peut-être même en juin. Il faut dire qu'à l'époque, ils débrayaient tous les quatre matins, je ne me souviens plus trop du moment exact ou j'ai pris conscience de mon existence. Le premier souvenir précis, c'est lorsqu'ils m'ont posé la batterie, je n'avais pas encore de sièges, ni de capot et mes cinq portes étaient maintenues ouvertes, d'une peinture blanche immaculée. Oui, ça doit être cela. Puis juste après, ils ont débrayé. Je suis restée bloquée un moment dans l'atelier F. Ca a repris une  journée, puis pof ! La première grève générale est arrivée. J'avais réussi à parcourir 25 mètres supplémentaires, gagné mon capot et mes sièges. J'ai du demeurer à cette même place au moins vingt-cinq ou trente-cinq jours. Là, j'ai eu de la distraction. J'assistais à toutes les assemblées générales. Ca gueulait là-dedans, en toutes les langues en plus. Eh oui, n'en déplaise à certains, je dois ma vie et ma longévité en partie aux arabes, moi. Je peux vous assurer qu'ils bossaient bien, et vite, je le garantis. Si non, au bled, y'avait pas d'sous pour la famille. Je revois les agents de maîtrise - toujours bien roses et bien cons-, les traiter de rien, les menacer de tout, pour faire respecter les cadences de production, dans un bruit terrible, de jour et de nuit, trois fois huit heures.

 

Mais bon, restons dans le sujet. Où en étais-je ? Ah oui, les assemblées générales, l'ambiance des A.G.... Mieux que les bruits de l'usine quand elle tournait ! Là j'ai fait mon éducation, de l'idéologie, de la démagogie, de la révolte, du sang, des larmes et quelque fois de la démocratie, de la fraternité, de la générosité. Je n'ai pas tout compris. Je me résume. Les rouges voulaient défendre l'outil de travail et partager les richesses que le grand capital s'appropriait. Les gauchistes pareil, mais ils voulaient autogérer la régie -otogérélarégi ! J'en ris encore aujourd'hui-. Les noirs, eux, voulaient détruire ces machines à asservir l’homme et libérer les classes laborieuses. Ils parlaient tous et tout le temps du travail, mais ils restèrent sans rien foutre pendant des semaines. Après ils ont repris bon gré mal gré, je me souviens des jusqu’au-boutistes sincères, des pauvres rêveurs. Ils voulaient ne pas reprendre, continuer d'espérer, faire la révolution. J'ai vu de mes propres phares, des alliances curieuses entre la maîtrise et les dirigeants syndicalistes pour inciter –sans aucune pédagogie- à la reprise du travail. Les minorités dans ces cas 1à, il faut bien qu'elles rentrent avec le troupeau, les appareils en avaient décidé avec les gouvernants, qui avaient lâché du lest, mais augmenté en échange, les quotas de production. Je suis donc sortie beaucoup plus vite. J'ai même eu le droit à un traitement de faveur. Les tribuns de la classe ouvrière s'étaient trop  servis de mon toit et de mon capot comme estrades. Pour réparer les dommages de la guerre civile, la régie nationale m'a donc offert un superbe toit ouvrant en toile noire et un capot neuf. Je me suis longtemps considérée comme un modèle unique, révolutionnaire même puisqu'issue des événements de 68. Qu'elle ne fut pas ma déception quelques mois plus tard lorsque j'ai croisé d'autres de mes congénères, équipées à l'identique. Je n'étais qu'une option, quelle terrible désillusion ! Mais, revenons à nos boulons. J'ai embarqué dans une grande péniche avec d'autres 4L de toutes les couleurs. De l'étage du dessus, les arrogantes R16 nous snobaient avec leur hayon arrière, le premier modèle cinq portes de l'histoire automobile. Ensuite, j'ai essayé le train, c'était sympa, puis un petit tour en camion jusqu'au concessionnaire.

 

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La vitrine d'exposition, ce n'était pas terrible. Ils m'ont installée sur une plage de sable, avec soleil -spots- et parasols. Pendant deux mois, l'autre abruti avec sa cravate et son costume a fait l'article aux clients potentiels. Il me vantait telle une machine, mes qualités et me tournait autour avec des gestes identiques. Je l'aurais bien écrasé de mes quatre michelins celui-là, si j'avais pu démarrer toute seule. Il arrivait avec ses deux gogos, souvent des jeunes ou des fauchés, pour une 4L, il ne pouvait pas se présenter d'autres acheteurs, suis je bête ! Il commençait, de son masque-sourire-figé, la main ouverte « Regardez, elle n’est pas mignonne cette petite voiture ! ». Il ouvrait le capot « 4 cylindres, 1100 cm cubes, qualité française » Je souriais repensant à mes géniteurs : Ali et  Mohamed. Il ouvrait mes portes « Rustique, simple à réparer...euh je veux dire à entretenir ». Il tripatouillait les sièges arrières, en appelant au bon sens paysan de sa supposée clientèle « Eh ! Regardez, les jours de foire, le mouton. Hop, no problemo ! On double le volume du coffre !». Deuxième version, le bon sens citadin «Regardez, le dimanche pour le pique nique !». Troisième version, le bon sens familial « hop, pour le déménagement, les vélos ou les affaires de bébé !». Quatrième...non, j'arrête. De toutes les manières, il avait réponse à tout. Horripilant, j'ai dit. Le toit ouvrant, pareil ! C'était bien pour profiter du soleil, ou du vent, ou de l'air, ou de la vitesse (120 km/h en descente et par vent arrière, mais ça il ne le disait pas), ou de ci, ou de ça. Et patati. Et patata. Réponse à

tout, je redis. Il aurait vendu sa mère et ses petits frères, ce gars. Il m'a vendue à Simone et Roger.

 

J'étais leur première voiture. Neuve de surcroît. Ils m'ont bichonnée. Ils habitaient Courbevoie, passaient leurs vacances à La Baule. Pendant cinq ans, j'ai eu une existence, comment dire, métronome ? Oui, cela doit être comme ça que l'on pourrait la qualifier. La semaine, je restais sur le parking, au chaud en bas de l'immeuble. Le mardi, nous allions au ciné à Nanterre, le samedi au Casino, le supermarché, pas l'autre. Les smicards manquent d'ambition, ma bonne dame, ils manquent surtout d'argent pour avoir des ambitions, je dirais. Reprenons, le dimanche au foot ou en forêt. Et j'oubliais, le vendredi soir chez les parents de Simone. Les parents de Roger, c'était à La Baule. Roger me lavait régulièrement, s'occupait de mes vidanges, il m'avait même offert des antibrouillards d'un jaune dense. Simone mit un coussin crocheté de ses petites mains avec un petit chien mignon tout plein sur la plage arrière, oui, oui, le modèle dont la tête oscillait à chaque virage. Simone pour compléter cet absolu mauvais goût et finir de me transformer en bonbonnière roulante, pendit à mon rétroviseur intérieur, un feu vert déodorant. Puant, si elle m'avait demandé mon avis. Ca manquait d'aventure, mais j'ai bien aimé cette vie routinière.

 

Puis Roger est passé chef. Tout de suite, il a commencé à se prendre la grosse tête et voulu faire correspondre son image à sa fiche de paie. Il y était arrivé, il fallait que cela se sache. Simone s'est mise coiffeuse à son compte. Ils ont déménagé à Mantes la Jolie, en pavillon. Une citron tout neuve, une sale DS prétentieuse et d’occasion m'a virée du garage que j'ai pu occuper une semaine, à peine. Ils m'ont mise sur le trottoir, comme une trainée. Je n'étais plus bonne que pour la rue. J'ai servi de cobaye à Simone lorsqu'elle a passé son permis. L'autre grosse vache molle s'est approprié les voyages à la Baule, l'autoroute et les sorties mondaines. Ils m'ont laissée tomber comme une vieille casserole cabossée, par la conduite toute parisienne de Simone. Je l'accompagnais aux courses, je servais pour aller à la décharge avec l'employée du magasin, enfin que des trucs comme ça, quoi, dix kilomètres maximum. Roger a commencé à oublier les vidanges, même le petit chien est parti dans la DS. J'ai commencé à tomber en panne, souvent. Ce fut l'annonce d'un changement de vie. J'avais passé dix ans avec eux, c'était bien assez. Une mini Cooper verte m'a expulsée.

 

Avant de me vendre, Roger m'a envoyé au garage d'un de ses potes. J'ai hérité d'une belle peinture, vert pomme, d'une révision générale, d'une calandre en plastique et mon compteur, de 70 000 kilomètres de moins. Je ressemblais aux nouveaux modèles, j'avais l’impression d'être déguisée en gamine au début, comme travestie. Roger m'a vendue à une jeunette, Valérie, qui croyait faire une bonne affaire puisqu'elle a, semble-t-il oublié de regarder ma première date d'entrée en circulation avant de signer l'acte de vente. Même si le « Oh merde, le fumier !» que j'ai entendu lorsqu'elle a lu la carte grise, assise au volant avant d'aller à la préfecture, augurait d'un futur difficile. Puis, tout ne s'est finalement pas trop mal passé entre nous.

 

Miraculeusement, mes ennuis de santé ont disparu. Il faut croire que ma carcasse et mon vieux moteur s'efforçaient de ressembler à mon nouveau reflet dans les vitrines que Valérie adorait vider. J'ai vécu beaucoup la nuit avec Valérie, elle aimait la fête. Étudiante, ses 6 heures de cours hebdomadaires lui permettaient d'en profiter. Elle rencontrait de jeunes abrutis à qui elle laissait souvent mon volant, ils se sentaient obligés de faire valoir leur virilité à grands coups d'accélérateur et de virages sur l'aile, faisant décoller ma roue arrière.

Valérie, ça la faisait rire, quand le bonhomme lui plaisait, sinon elle le déposait vite fait. Quand c’était oui, nous finissions parfois  tous les trois : moi, Valérie et le mec dans un coin sombre. Où j'abritais pour une heure ou pour une nuit, la rencontre de deux amants. Valérie fit changer les sièges avant, elle les remplaça par des inclinables. Je me suis toujours dit que c'était pour éviter les courbatures du lendemain, mais je vois le mal partout, sans doute. Elle prit cette décision après une partie de catch intime avec un rugbyman qui démantibula le levier de vitesses, le vide poche et le rétroviseur, pour satisfaire, je le suppose, leurs envies réciproques. C'est pour cela que je me permets cette remarque, qui n'est absolument pas négative à l'égard de Valérie. Pour son crédit, les hommes la raccompagnaient souvent, mais peu d'entre eux avaient accès aux manettes des sièges avant. Valérie était vraiment une fille sympa. Elle n'oubliait pas de m'emmener au garage. Sauf pour le lavage, heureusement, il pleuvait. Elle m'appelait «Titine», tendrement. Surtout pour me prier de démarrer, les matins d'hiver ou c'était quelquefois difficile avec ma batterie à moitié gelée, Cela faisait quatre ans que je la convoyais, lorsqu'elle rencontra Bob, un jeune rocker, lors d'une escapade en Bretagne. Ils se mirent à la colle, comme on disait à l'époque. C'est Bob qui me sonorisa. Il mit le paquet 2x40 watts. Comme il disait « Avec le bruit du moteur et le vent dans la toile du toit, il faut bien ça pour qu'on arrive à entendre les Bérus !». Sa musique de sauvage, je finis par m'y faire. Bob était un vrai mélomane. C'était plutôt cuir et électricité qu'archet et partition, mais il aimait chanter -faux- et bouger. Pas comme ces clowns qui roulent fenêtres ouvertes en espérant se faire remarquer du monde entier, avec leurs belles jantes alliages, leurs lunettes noires et leur con fondant sex-appeal.

La plupart du temps, je transportais toujours cinq gamins, même sept, un soir à la sortie d'un concert, qui braillaient « la fille du coupeur de joints » en ne lésinant pas sur le whisky. Les flics n'apprécièrent ni le volume sonore, ni les textes et pas du tout, mais alors pas du tout, mon pare-chocs arrière traînant par terre et les 2 grammes de Valérie. A cette occasion, j'ai découvert la prison des voitures : la fourrière.

Ah, c'était bien le temps de Bob et Valérie, j'ai mis mes roues en Italie, en Espagne. La musique à fond et le toit ouvrant, il nous manquait plus qu'un accessoire : le surf. Les deux tourtereaux s'y mirent de bon cœur. Et moi, je fis connaissance avec la côte Atlantique, mon look jurant un peu entre les camping-cars et les gros 4x4 sur les parkings sableux.

Un jour de 86, fatigué, ma pompe à eau a lâché sur la nationale 10. Bob et Valérie m'ont abandonnée dans un garage sordide des Deux-Sèvres. Ils avaient de la peine, Valérie a même posé sa main sur mon capot en une sorte de caresse « Salut, ma vieille ! ». Ils sont montés dans la voiture des copains qui les accompagnaient. Je ne les ai plus jamais revus.

 

Je suis restée six mois ou plus  à prendre la poussière entre une vieille traction rouillée et un Buggy jaune avec des grosses roues. C'était triste à mourir.  Un jour, un jeune homme mal rasé, en salopette couleur cambouis m'a emmenée dans la grange de la ferme de ses parents. J'étais rassurée, je l'avais pris au départ pour un tueur de voitures -un patron de casse, je veux dire-.

Il m'a désossée, décapée. J'ai subi une sacrée cure d'amaigrissement. Je n'avais plus qu'un seul siège, celui du conducteur, un baquet. J'avais gagné un arceau de sécurité, un harnais, des capots en plastique. Il a enlevé toute les vitres, mis un filet à la place, a bouché mon toit ouvrant, et soudé toutes les portes. Je comprenais toujours pas ce qui m'arrivait. Lorsqu'ils m'ont changé le moteur pour un 1600 avec injection, j'ai commencé à saisir. Ça a fait tilt quand ils m'ont peinte en rouge, bardée d'autocollants et mis un gros 55 sur chaque porte avant.

 

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Ma première course m'a confirmé mon  impression, c'était bien un tueur ! Je me suis retrouvée à courir avec d'autres 4L toutes aussi trafiquées que moi. Lorsque le drapeau à damier se baissait, on se poussait, on tapait, on se renversait dans de grands dérapages de terre brune et de poussière. On se noyait dans la boue en automne. Un autre drapeau à damiers abaissé, le cauchemar s'arrêtait. Cet imbécile de pilote, ça le faisait rigoler, lui. Il criait même en course des yahous  d'apache qui ne cessaient de me surprendre. Il passait des heures, des semaines à me bichonner, à me promettre la pôle, le titre, à voix basse, et finalement me détruire en un quart d’heure, le dimanche. Car on ne finissait pas souvent les courses. Je veux dire que l'on ne franchissait pas la ligne d'arrivée, car nous accomplissions tout ce qu'une voiture est capable de faire : hors-piste, sur le toit, en panne ou encastrés dans des positions que la morale réprouve. Le tohu-bohu dominical a duré deux ans, je n'ai plus jamais revu l'asphalte, dans cette jungle. Ma dernière sortie -c'est le cas de le dire- m'a projetée sur la plate forme de chronométrage. Le béton armé du pylône m'a plié le châssis, pas énormément mais cela a suffit pour que je ne sois plus homologuée. Ni pour courir, ni pour rouler. L'apprenti Fangio paraissait sincèrement peiné d'avoir cassé son jouet. Un samedi après-midi, avec son père, ils m'ont à nouveau désossée, ne me laissant que les roues, mais sans portes ni moteur. Le tracteur paternel m'a emmenée en haut du champ. Le jeune fou s'est offert une dernière descente à mon volant, rush ultime agrémenté du yahou! habituel jusqu'au chêne. Ça a fait plonk!, le dernier bruit que j'ai émis. Quelques mois ont passé, je profitais de la nature et du calme. Il me fallait bien ça après toutes ces émotions sportives. Le vieux est venu un matin. ll a planté des pieux tout autour de ma carcasse, posé un grillage. Inquiète, je me demandais ce qu'il avait inventé. Si le fils était dangereux, le père devait l'être aussi. Il m'a amené des poules ! Pendant deux ans, elles m'ont cassé les oreilles que je n'ai pas. Le  coq, ce stupide animal, ne pouvait s'empêcher de hurler tous les matins et tous les soirs. J'en regrettais presque le cross. Un renard roux m'a délivré en deux semaines du poids de ces stupides gallinacés. Et le vieux est revenu démonter le poulailler, il me regardait avec insistance. Cela me terrorisait, je croyais qu'il avait eu une autre idée, ce détraqué.

 

Mais non, depuis plus rien, personne n'est revenu. Les années de dérouille sont bien finies, maintenant je rouille, tranquille. La retraite est arrivée, je ne suis même plus un souvenir.

 

 

Publié initialement sur mediapart le 20/12/2014



27/05/2016
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