Les billets de Joseph

Les billets de Joseph

Diogène, mon copain

digene2.jpg

 

 Si vous voulez rencontrer Diogène, il faudra vous laisser un peu faire. D’abord, partir dans un lointain passé vers la Grèce, à cette époque pratiquement le centre du monde, alors qu’aujourd’hui elle est devenue une sorte de centre de l’Europe, utilisée à ses dépends et aux nôtres, par les puissants. Diogène était d’ailleurs le fils d’un banquier, qui accusé de fabriquer de la fausse monnaie, aurait été contraint de fuir Sinope au bord de la mer Noire, avec son fils, pour Athènes. L’histoire ne dit pas ce qu’il advint du père, mais Diogène rencontre alors Antisthène, le philosophe fondateur de l’école cynique, il en devient le disciple et lui a d’ailleurs survécu, comme le plus célèbre à ce jour.

Attention ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas du compagnon préféré des politiciens et des hommes d’affaires. La philosophie des cyniques prône le renversement des valeurs dominantes du moment, peu importe l’époque.  Elle tentera en vain d’inculquer leur abandon aux tenants des pouvoirs au sein de la Grèce antique. Cette philosophie était aussi un mode de vie radical. Les premiers anticonformistes et "antimatérialistes" de l’histoire, en quelque sorte. L'école cynique prône la vertu et la sagesse, qualités qui ne pouvaient s’approcher que par la mise pratique d’une  liberté absolue, avec principalement le renoncement aux conventions sociales et à la propriété, cela en plein respect de la nature. Le mot cynisme vient d’un mot grec « kunikos » qu’on peut traduire par « du chien » (kunos : chien). Je sais que cela va en laisser plus d’un, stoïque, mais c’est justement cela qui fondera la vie de Diogène, une vie de chien libre.

 

Lorsque vous rencontrerez Diogène, je vous préviens, ça risque d’être un peu, comment dirais-je, « sportif », oui. Le bougre applique ses principes philosophiques à sa vie de tous les jours. Il risque de vous bousculer un petit peu. Une anecdote pour situer le gars : Alors qu’il se prélassait au  soleil sur une colline des environs de Corinthe, lieu de villégiature qu’il partageait avec Athènes, Diogène vit approcher Alexandre le Grand avec toute sa cour. Le prince, déjà moitié dieu vivant, aperçut le philosophe. Il descendit de cheval, s’approcha de lui et dit : « Demande ce que tu veux, tu l’obtiendras ». Diogène de répondre : «Ecarte-toi, tu me fais de l’ombre ! ». Oui, le fameux « ôte toi de mon soleil ! ». Selon une rumeur, la fin du dialogue fut : « N'as-tu pas peur de moi ? »-« Qu'es-tu donc ? Un bien ou un mal ? »-« Un bien ». Diogène clouant le bec du grand Alex ainsi : « Qui donc pourrait craindre le bien ?»

Vous voilà prévenus. Faut que je vous dise aussi que Diogène dort dans une jarre. En étincelant clochard, il vit dehors, dans le dénuement le plus complet, avec pour tout biens, des habits pleins de trous, son bâton, une écuelle et une lanterne. Il met en pratique la liberté qu’il prône dans sa plus grande rigueur. Pas d’attachement particulier, ni aux choses, ni aux personnes, et pour les défendre, une solide répartie et le refus de toute influence. Même le sentiment, il l’a broyé de ses mots « l'amour comme est absurde : on ne devrait s'attacher à personne ». Cet ascétisme transgressif lui fera commettre les pires outrages, il a ainsi parfois uriné et aboyé comme un chien, on dit même qu’il se serait masturbé en public se justifiant ainsi « Plût au ciel qu'il suffît aussi de se frotter le ventre pour ne plus avoir faim ! ». Ce mendiant magnifique et contestataire ne vit d’ailleurs que des contributions de ses auditeurs ou…des dons de ses mécènes - là-dessus on pourrait le chambrer un peu, mais ne réveillons pas le chien qui dort-. Quand il est raide comme un passe-lacet,  il se contente de taper la manche, y compris aux statues afin de « s'habituer au refus ». Ce qui ne l’empêche pas d’avoir cette saillie vers un réticent  « Si tu as déjà donné à quelqu'un d'autre, donne-moi également. Si tu n'as donné à personne, commence donc par moi ».

 

Diogène n’est donc pas à vendre et n’a rien à vendre. C’est ainsi qu’un jour, son bateau fut pris par les pirates et il fut vendu comme esclave sur un marché de Crète. Alors qu’on lui demandait ce qu’il savait faire, il répondit : « Commander ». Puis il désigna un riche corinthien qui passait, il s’écria : « Vendez-moi à cet homme, je vois qu’il a besoin d’un maître ! », Ce riche Corinthien admirant son indépendance d'esprit, l’acquit et lui rendit sa liberté. Être, plus qu’avoir, donc. On raconte que Diogène voyant un petit garçon boire dans ses mains, il jeta son gobelet en s’écriant « un gamin m’a dépassé en frugalité ! ». On dit qu’il se débarrassa aussi de son écuelle quand il vit un autre enfant qui avait cassé son plat, prendre ses lentilles dans le creux d’un morceau de pain.

Si nous allons voir Diogène, n’attendez pas de leçons ou de recettes, son école ne demande pas d’apprentissage ou de longues études, vivre de peu suffirait à devenir vertueux et sage, selon lui. Ainsi, il répondit à un papa qui lui présentât son fils comme supérieurement intelligent et d’une morale irréprochable « Il n'a donc pas besoin de moi !». Foin de technique complexe pour faire disparaître toute vanité de nos égos surdimensionnés ! Pas de grandes théories ou de discours d’une longueur castriste chez Diogène, l’ironie d’une répartie, la preuve par l’expérience du quotidien, suffisent à éclairer le chemin vers la vertueuse liberté. Si on  lui demandait pourquoi les gens faisaient l'aumône aux mendiants et non aux philosophes, il répondait : "Parce qu'ils craignent de devenir un jour boiteux et aveugles, jamais ils ne craignent de devenir philosophes".

Ce qui vous perturbera le plus, avec Diogène, c’est sa faculté à faire exploser les conventions sociales, toutes, les vôtres, les miennes, qu’importe. Il prône l’universel, se définit déjà comme citoyen du monde, pas au sens internationaliste actuel, mais comme l’homme naturel, au plus proche de la nature comme l’animal qu’il n’est plus tout à fait, La nature comme la génitrice de règles d’une vertu aussi universelle, devant laquelle aucune règle sociale ne compterait. Certains le traiteront de débauché, d’hédoniste, et autres qualificatifs des partisans de la sainte morale, alors qu’il n’est que subversif, définitivement émancipé, et toujours dans l’ironie, imparable et séductrice. Une autre histoire court à son sujet, car on l'aurait vu parcourir les rues d'Athènes en plein jour, une lanterne allumée  à la main, déclarant à ceux qui lui demandaient ce qu'il fabriquait ainsi: « Je cherche un homme. ». Il voulait dire le vrai  « homme », le véritable, celui théorisé par les Platoniciens, l'idéal de l'humain, Diogène par cet acte symbolique réfutait son existence, son impossibilité, ne voyant exister autour de lui que des hommes concrets, donc faillibles.

 

diogene1.jpg

 

Mais nous ne pourrons pas le rencontrer, Diogène nous a quitté il y a déjà si longtemps, il avait semble-t-il, atteint les quatre-vingt ans et quelques, comme quoi, cela conserve. Après avoir vécu comme un chien, un cynique, il voulait que son corps soit jeté dans la rue, mais ses amis lui dressèrent une statue. Malgré cela, les écrits de Diogène tombèrent dans l’oubli. Ils sentaient trop le souffre, il a écrit Politeia (la république) ou il faisait trembler les valeurs du monde grec en défendant  par exemple : l’égalité entre hommes et femmes ou encore la liberté sexuelle totale, la négation du sacré, la critique de la société et de ses lois, prônait la fin des armes et de la monnaie, défendait l’autosuffisance ...utopies énervant encore les forces conservatrices, aujourd'hui.

 

Bon, Diogène est devenu une sorte de légende, une sorte de héros antihéros, dont on ne distingue plus le vrai du faux. Dont on ne sait plus trop ce qui est vrai de ce qui est faux, de sa vie, de son œuvre, devenues parfois anecdotes ou blagues, d’autres fois, maximes d’une étonnante et corrosive modernité. Il est devenu impossible de trier, c’est l’anarchie !  Moi-même, j’ai sans doute -et sans vergogne- un peu arrangé l’histoire de mon copain parce que je l‘aime bien. Les lettrés cultivés pourront certainement me contredire et démonter sans trop de difficultés cet humble billet, je m’en remets à Diogène pour me dispenser d’y attacher une quelconque importance. Par sa dérision mordante, il fait exploser tous les codes et conventions, met à nu le caractère arbitraire et martial de nos valeurs énoncées, il montre ô combien, que tout cela n’est souvent qu’opinions prétentieuses, sans fondements, préjugés bêtasses gonflés d’importance, conformisme frileux mais vaniteux, et intérêts dévoyés. Le cynisme de Diogène, pas celui d’aujourd’hui, glacial et comptable, mais le sien, des plus truculents, lézardera toujours avec une certaine violence réjouissante les certitudes du savoir, du rationnel et des rites qui en découlent. Certains n’y verront que le soupçon systématique, un artifice verbal sans conséquence, aussi inutile que gratuit, d’autres, la pratique salubre et libertaire de l’esprit critique.



01/07/2016
4 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 37 autres membres