Les billets de Joseph

Les billets de Joseph

Hystéries

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Vous ne sentez pas cette ambiance particulière du moment. Moi si, je me demande qu’est-ce qu’ils ont tous, ces gens, d’où vient cette furieuse envie de se battre, enfin de se battre … pas pour des causes, hein, mais plutôt d’écraser son prochain, de le vaporiser, de l’éclater façon puzzle pour qu’il ne puisse plus s’exprimer, ni même exister.

 

Les procureurs autoproclamés pullulent, sur le net et dans le médiamonde. Ah, ils n’argumentent pas sur leurs idées, ça non, ils pilonnent celles des autres, pas pour discuter, mais juste pour les tuer. L’argumentaire massue toujours proche du point godwin,  inévitablement, si vous n’êtes pas de leur avis, vous êtes forcément un crétin (celui du doigt de la lune) et/ou un vendu, soit au féminisme, au sionisme, au macronisme, au poutinisme, à l’insoumisme ou au grand satan américain, et dernièrement, vous serez promu au grade de mangeur de cadavres, de proto islamiste, voire de dominant, violeur, forcément. Le qualificatif  facho étant devenu tout à coup obsolète, il se fait un peu plus rare, curieux, alors que les exécutions sommaires quotidiennes par mots interposés ou déclarations publiques font couler des flots d’encre -et autant de likes,  acclamations dématérialisées des bourreaux des places tweetiques-. C’est toujours mieux que des rivières de sang, je me disais au début, mais c’est quand même du sauvage, limite primaire, cette hystérie ou la victime doit forcément se venger et devenir bourreau, ou encore que l’injonction de penser droit est obligatoire,  par le miracle des justiciers des réseaux sociaux privatisés, tous juges, ces chevaliers blancs et purs -à moustache parfois-, qui ont toujours raison car ils se disent du bon côté, des victimes ou de la vérité forcément, du côté de l’émotion, du vrai moment du faux. Les tripes plutôt que le cerveau, c’est tellement plus facile d’accès. Oui, le ventre est plus mou que le crâne, les couteaux du sophisme y pénètrent bien plus vite, surtout avec la peur pour partenaire, puisque l’insouciance ne nous est plus permise.

 

Il parait que les bolcheviks ont aujourd’hui rejoint dans les charniers de l’Histoire ceux qu’ils ont dévorés vivants au nom de leur cause.  Mais ils ont dû oublier d’emporter avec eux,  leur paranoïa passée, leur précepte sociopathe, pire, ils l’ont laissé libre de droit « Si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi, alors soumets- toi ou crève ! ». Tout me monde s’y est mis semble-t-il. La fraternité n’était déjà pas bien brillante, mais il apparait qu’elle n’a plus qu’un seul modèle d’expression : la meute en réseau, qui protège ses membres et dévore tous les autres.

 

Notre société devenue celle de l’image instantanée, nous conditionnerait-elle à réagir tout aussi rapidement que le défilement accéléré des sites d’informations, ou seuls submergent le spectaculaire, l’excessif et l’émotionnel. Au duel permanent vous serez obligés si vous rentrez dans ce jeu. Si vous ne faites pas le pas de côté nécessaire, si vous ne gardez pas du temps pour réfléchir, vous serez alors emporté par le maelstrom des débats à couteaux tirés, ou l’argument massue est la seule issue, être le dernier à parler pour gagner, car avoir raison importe peu au fond. Etre minoritaire devient donc avoir tort, être calme et non violent devient être faible, prononcer un mot connoté signe votre condamnation, car l’erreur vous sera refusée. Si vous l’avez dit c’est que vous l’êtes, votre second degré sera de toutes les façons  incompris,  le fameux lapsus devient aveu, et depuis peu, exprimer son doute ou une non-prise de position relèverait de la lâcheté, l’erreur n’est donc plus humaine. Croire à l’humanité et à sa dignité ce n’est même plus être un bisounours, mais c’est maintenant avoir des « passions tristes », selon un représentant du gouvernement, c’est pour vous dire.

Tous ces pétris de vérités, ces nouveaux sachants qu’ils soient issus de la cuisse de Jupiter, du monde économique, de l’élite énarchique, du 1% qui possède la moitié de ce qui nous entoure, ou même des sectes militantes ont strictement les mêmes comportements des religieux qu’ils remplacent. Ils ne doutent plus,  le débat ne leur est plus utile,  il est pour eux une perte de temps, un obstacle à éliminer, leur vérité est figée pour l’éternité, ils prêchent le pragmatisme, le contestataire à leur désir d’ordre nouveau sera méprisé s’il ne les gêne pas et « délinquantisé » s’il ose leur résister. Un monde simple et terrifiant se profile.

 

Certes ce monde existe bien depuis longtemps, le pouvoir et sa tentation hégémonique peut séduire chacun mais là, le décor explose, les choses s’amplifient, l’apparat démocratique qui pouvait faire croire  à certains que leur avis comptait, donne place à une course au quinquennat de leaders autoproclamés, redorant ce bon vieux lustre. Macron, Mélenchon, Lepen tous désignés par eux- mêmes et par acclamation, ne vont pas s’encombrer d’urnes plus que cela, plus besoin. Une tonne de clics (oui, cela se vend ou s’achète aussi, le clic…) sur Internet vaut vote par acclamation, un habile marketing politique ou les scrutins à main levée suffisent à emporter une forte minorité d’encore consommateurs pour légitimer leurs gesticulations. Cette minorité ayant recours –tout comme Trump- à cette forme d’hystérisation des débats pour maintenir le statu quo, et nous dicter leur ordre du jour, masqué ou apparent. Une fois au pouvoir, ils prétendent agir pour votre bien  et font mine de  consulter vos représentants mais feront bien ce qu’ils veulent, les rois républicains et leur cour, présents, y postulant ou à venir.

 

Ils suppriment ou plutôt démonétisent et déshabillent de leurs pouvoirs  les formes verticales de la représentation démocratique que sont les strates territoriales, notamment la plus potable, la communale, en revendiquant une démocratie horizontale totalement fictive qui n’est que le résultat de l’exercice de leur pouvoir de fascination sur les foules et la simple flatterie de notre instinct grégaire.  Ils osent appeler cela « mouvements ». Mouvements de troupes et général unique certainement, mouvement émancipateur aucunement. Ils aiment les élus débutants  et les tirés au sort, les naïfs, roulés dans leur farine périmée,  attirés par les feux de la rampe politicienne, facilement manipulables  et si peu diserts dans leurs discours, qui ressemblent tant au bon sens managérial d’une vacuité sidérale cherchant à nous faire croire que l’entreprise privée et son économie de création de richesses individuelles tient à son rôle social et qu’elle serait le seul ciment du contrat social.

 

A un  tel point, que le sentiment d’impuissance face à ce rouleau compresseur tient de la normalité aujourd’hui la mieux partagée, la soumission obligée se fait donc dans la colère et la frustration. Qui ne demande qu’à s’exprimer sur des individus transferts, défouloirs servant de soupape au trop plein d’autoritarisme que nous subissons, et qui semble, curieuse nature humaine, nous faire reporter sur plus faibles que soi, la lâcheté démissionnaire de la défense de nos libertés,  histoire d’exorciser notre piteuse condition face à cette situation.

 

Et toi, alors, me direz-vous ? Ben, je gueule et râle souvent aussi, je me mobilise, puis étant seul ou presque je laisse tomber, mais ma colère reste dirigée contre les hommes de pouvoir, toujours volontaires pour le détenir quoiqu’ils en disent, avec les tenants de leur puissance, les oligarchies financières, grandes ou petites, locales ou internationales. Plus que jamais, je vois grossir la  masse de tous les perdants de ce combat déséquilibré, le pauvre, le zadiste, le réfugié, le marginal, le malade et toutes les victimes de la prédation, ils ont et auront tout mon respect, qu’ils continuent à vivre et tentent de se construire leur bien trop petit univers individuel,  à côté de ce monde qui n’est plus pour eux et  ne les tolérant plus, les administre comme une simple variable de gestion à réduire à néant.

 

Je ne me tairai donc pas, mais n’obéirai pas non plus à l’injonction de lynchage quotidien actuelle. Je ne veux pas ressembler à mes adversaires, mes gestionnaires, et plus que jamais, ma fin ne justifiera pas mes moyens.

 

 



24/11/2017
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